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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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c’était faux. Elle allait bien. Elle essayait de me le dire mais je ne voulais pas l’entendre car j’aurais dû alors admettre que je n’avais pas encore le courage de la quitter.
    Un soir, comme je me levais pour allumer la télévision, Sarah m’a prise par le bras.
    — Qu’est-ce que tu as ?
    J’essayais de lui échapper d’un mouvement d’épaule mais sa poigne était résolue comme son amour pour moi.
    — Tu ne t’esquiveras pas, disait-elle.
    Je fuyais son regard. Elle me poussait sur le canapé, elle s’asseyait près de moi.
    — Tu dois partir, reprenait-elle.
    Je m’insurgeais, j’étais hostile.
    — Tu veux partir.
    Elle me lâchait, prenait une cigarette et de la sentir si calme m’apaisait.
    — On part toujours tu sais. Il faut. Même si cela fait mal. Et puis on revient.
    Elle me tendait une cigarette, nous retrouvions la complicité des gestes.
    — Mon père partait à chaque instant, trop. Je ne le supportais pas. Puis j’ai commencé à partir aussi, je laissais ma mère à Paris…
    Elle avait posé sa tête sur le dossier du canapé. J’aimais la noblesse vigoureuse de son visage, la franchise heurtée de ses traits, le nez busqué, le menton prononcé.
    — Je le regrettais. Je n’ai plus de remords, pourtant elle est morte.
    Elle hésitait, me prenait le cou.
    — Accepter la séparation, Nathalia, la seule loi de la vie, être séparé et ne pas oublier.
    Nous n’avions pas éclairé la pièce envahie par la nuit. Toutes les fenêtres étaient ouvertes.
    J’allais partir.
    Je fermais les yeux. J’écoutais l’eau de la source. Je respirais les parfums de jasmin et de la lavande. Je reconnaissais l’odeur sucrée et laiteuse des figuiers.
    Je m’imprégnais de mon enfance avant de la quitter.
    Je n’ai commencé à écrire qu’après m’être réinstallée au Mas Cordelier.
    J’y suis arrivée il y a trois mois, en mai, la plus belle saison, mais l’herbe était haute sur l’aire, entre les pierres. Les terrasses, les oliviers, le jardin de Sarah, mes figuiers, là-bas, à la limite de notre terrain, tout donnait une telle impression d’abandon que j’ai failli ne pas oser rester. La mort de Sarah était autour de moi, dans les mauvaises herbes, cette haie de lauriers en désordre, branches poussées au hasard et qu’elle aurait taillées, minutieuse et tenace.
    Seule, assise à gauche de la porte, sur la dalle large et usée, je me serais laissée aller au remords. Mais Samuel courait entre les cyprès, s’échappait, je l’entendais qui tirait la chaîne du puits, et je l’imaginais se penchant sur la margelle. Je criais à mon tour, comme l’avait fait Sarah pour moi : « Attention, veux-tu… » Je m’élançais, comme elle. Je disais : « viens » et j’entraînais Samuel, j’ouvrais la porte.
    Je reconnaissais l’odeur sure de la pierre des murs, celle de la cire et du bois. Thérèse avait dû venir comme je le lui avais demandé. Je poussais les volets et les quinze années que j’avais vécues depuis mon départ du mas s’effaçaient.
    Samuel m’avait pris la main comme s’il voulait que je me souvienne qu’il continuait d’être là, lui, qu’il ne se laisserait pas engloutir. Il entrait dans la bibliothèque, dans la chambre de Sarah. À chaque fenêtre ouverte il m’obligeait à quitter la pièce, à parcourir trop vite ces lieux où j’aurais voulu m’attarder. À la fin, j’ai tenté de rester seule, le conduisant sur l’aire : « Joue, attends-moi. »
    Je suis rentrée pour que m’entoure l’unique rumeur de leurs voix, Serge, Sarah. J’étais prête à sangloter avec complaisance, à m’accuser de lui avoir si peu écrit, et de l’avoir contrainte quand elle voulait me voir, à me rejoindre là où je traînais ma vie. Je me suis assise dans la bibliothèque, je regardais ces cartes du XVIII e  siècle aux couleurs vives qui appartenaient aux Cordelier depuis que Jean Cordelier, le fondateur, avait construit la maison. Quinze années ne les avaient pas jaunies davantage.
    Je n’étais pas revenue. J’avais craint de ne plus trouver assez de force pour repartir. Je croyais que j’avais une trajectoire à parcourir, que là était mon devoir, qu’il fallait renoncer à la douceur de ces retrouvailles avec le mas, avec hier, avec Sarah. J’étais dans cette période sauvage de la vie où l’on croit qu’à se faire mal, à blesser les autres, on se grandit, on se purifie. Il a fallu que naisse

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