Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
de la chambre où nous couchions toutes deux, j’apercevais le toit de tuiles du Mas Cordelier, cime rose entre les cyprès. Sarah me rejoignait, nous regardions en silence. J’interrogeais :
    « … Serge sait que nous sommes ici ? »
    Elle faisait non d’un geste imperceptible.
    « … Il devrait s’en douter », continuais-je.
    « … Il devrait. »
    Mais Serge semblait avoir disparu. L’actualité poussait d’autres hommes. On l’avait remplacé au Gouvernement. Le ministre des Affaires algériennes avait été désigné. Cordelier ? Il y eut quelques semaines plus tard un entrefilet dans le journal local : La plainte déposée par Monsieur Serge Cordelier, député des Alpes-Maritimes, contre l’hebdomadaire Le Défi suit son cours…
    La pluie nous enveloppait comme à chaque début d’hiver mais à observer Sarah, je savais qu’elle souffrait comme moi de ces jours bas, de l’obstination monotone de l’averse, de cette campagne du Sud que l’orage endeuille.
    Mietek allait mal. Le matin je pouvais oublier son âge. Il chantonnait dans son atelier, actif. Mais les vieux meurent chaque jour à la nuit. Quand je rentrais du lycée, la bastide était enfouie dans le silence. Sarah lisait devant le feu. Mietek, une couverture jetée sur ses épaules, grommelait, incapable de rester assis, voûté, les bras ballants, le regard égaré par la découverte de son impuissance, de sa fatigue contre lesquelles il se révoltait par ce mouvement de va-et-vient qui le conduisait d’un bout à l’autre de la pièce. Il refusait de dîner. Parfois à Sarah qui s’approchait, tentait de le convaincre d’accepter un plat, il répondait déterminé : « Je ne travaille pas, donc je ne mange pas. »
    Quand nous nous couchions, son atelier était encore éclairé et nous l’entendions qui remuait ses cartons, déplaçait ses toiles et les chevalets, comme quelqu’un qu’obsèdent ses souvenirs.
    « … Le voir ainsi », murmurait Sarah.
    Elle me parlait de l’autre Mietek, celui d’avant, qui déchirait la vie d’un grand mouvement du bras.
    « … Ma mère », commençait-elle…
    Elle essayait de ne pas pleurer. Je m’approchais, je l’embrassais, « maman, maman ».
    « … Mietek, reprenait Sarah en m’écartant, Mietek effrayait ma mère, il se moquait d’elle, la traitait d’imbécile, un moment il a été amoureux d’elle… »
    Je n’avais derrière moi qu’un mince sédiment de vie et j’étais jetée en avant loin de Mietek par l’âge et le désir, mais à écouter Sarah, à la sentir contre moi, émue et frêle, j’étais atteinte à mon tour. Moi aussi je me souvenais d’un autre Mietek, celui qui me prenait sur ses épaules ou me déposait sur le tabouret : « Ne bouge pas, colombe, je vais te donner des ailes. » J’étais saisie dans son regard, paralysée et apeurée de ses gestes rapides devant le chevalet. Il appelait Sarah, Allen, Serge. Nous entourions la toile. Il m’avait fait renaître.
    Mort d’un homme de la naissance.
    Les photographes cernèrent la bastide. Serge Cordelier vint avec le préfet.
    Sarah et moi dans l’escalier. Héloïse, l’un des modèles de Mietek avec qui il avait vécu plusieurs années avant la guerre et à qui il léguait plusieurs toiles, debout le dos tourné, regardant le ciel neuf de janvier. J’étais, avec Sarah, l’héritière de la bastide et des œuvres.
    Nous nous tenions la main quand, le préfet sorti, Héloïse toujours immobile au bout de l’atelier, Serge nous fit face. L’une et l’autre, je le devinais à nos doigts qui se serraient, nous avions envie de le prendre contre nous. Je me souvins tout à coup de ce rite enfantin, j’étais dans les bras de Serge ou de Sarah, je les embrassais, je disais : « la bise qui tourne », ils devaient s’embrasser après moi et je m’accrochais à leur cou.
    — Retournez au mas, dit Serge.
    Il était appuyé à une canne, déhanché. Il remarqua sans doute que j’observais son attitude.
    — J’ai dû me faire opérer, ajouta-t-il, toujours des séquelles.
    Sa voix, comme s’il craignait de se faire entendre ou comme s’il eût voulu par sa faiblesse solliciter le pardon de Sarah.
    — Je ne crois pas que je me représenterai aux prochaines élections, dit-il.
    L’une de ces silhouettes noires et déférentes que je refusais de regarder, qui traversaient l’atelier d’un pas plein d’onction et tournaient autour de la table où l’on avait

Weitere Kostenlose Bücher