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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Samuel, que meurent Sarah puis Christophe pour que je comprenne que j’avais atteint le bout de ce que j’appelais avec une emphase qui me fait honte, ma « vie personnelle » ou bien, mais c’était toujours le même égoïsme, ce que je nommais « notre engagement ».
    Seule, de retour ici, j’aurais pu sangloter mais Samuel criait, pleurait. Je me penchais à la fenêtre. Il s’était assis au milieu de l’aire, la tête sur les genoux, encerclé par les herbes.
    Mes quinze années les voici dans ce nœud de vie issu de moi.
    Je suis descendue en courant, je l’ai pris dans mes bras. « Tu es lourd, qu’as-tu ? » Il se blottissait, il reniflait. « Je vais te montrer, quand j’étais petite… »
    J’allais explorer avec lui la mémoire des lieux pour qu’il s’en empare et les aime.
    Chaque jour, pour lui, j’ai retrouvé de nouvelles traces plus profondes, j’ai entrebâillé le placard à bois où je me cachais quand j’étais enfant, j’ai écouté avec lui la marche qui craquait et dont j’avais peur, j’ai parlé des lézards et des hannetons, des papillons que j’avais épinglés.
    Je partageais avec mon fils. Je le nourrissais de ma mémoire. Je suis devenue comme l’une de ces femmes qui ont trop de lait et dont les seins gonflés sont douloureux. Elles prennent leurs seins à deux mains et les pressent pour que jaillisse le lait. J’ai agi comme elles. J’ai commencé à écrire ce que je ne pouvais raconter à Samuel, et qui me faisait mal en moi, ces quinze années de vie, si brèves, si lointaines déjà, qu’à les écrire il me semble que je les rêve.
    Ainsi de mon départ du Mas Cordelier que j’avais désiré mais que je laissais Sarah organiser.
    J’avais peur. Je ne voulais plus. Je lui reprochais de chercher à m’éloigner d’elle. Je me protégeais par cet artifice de mes remords à venir. Aujourd’hui je découvre l’habile lâcheté inconsciente qui m’a permis de croire que Sarah était responsable, qu’elle m’avait chassée. Quand elle me proposait de m’inscrire dans une Faculté à Paris ou dans une université étrangère – « Oxford, pourquoi pas ? » – je me révoltais. Les études me lassaient. Les professeurs me paraissaient ternes, installés avec suffisance dans la répétition.
    Je me confiais parfois à Pierre Monod qui, libéré de prison, amnistié, avait repris ses cours au lycée. J’allais chez lui, dans l’une des ruelles qui conduisent à la cathédrale. Nous nous installions sur la terrasse, nous regardions s’estomper les ciels violets et rouges.
    J’attendais, patiente.
    Je comprends maintenant – et j’aime dans l’écriture la découverte de ce qu’on a ignoré et pourtant voulu, organisé, j’aime cette remontée du fleuve qui fait éprouver la force du courant qui nous entraînait – je suis sûre que l’idée de faire de Monod mon amant était ancienne, peut-être même n’avais-je accepté Claude que parce qu’il était l’élève de Monod ?
    M’eût-on affirmé cela il y a quelques années, je me serais récriée ou bien j’aurais ri. Mais je sais depuis, quels détours prend le désir, à quels jeux de masques se livre la volonté, la vraie, celle que l’on ignore, qui pousse devant soi, l’autre, la marionnette des résolutions proclamées et des choix clairs. Puis-je même dire que mes convictions d’alors, la passion avec laquelle je m’affirmais hostile à la guerre d’Algérie n’étaient pas suscitées par le désir que j’avais de Pierre Monod ?
    Que la politique soit ainsi liée aux plus opaques zones de mon affectivité, de ma sensualité, j’ai mis aussi des années à le comprendre. Mais je parlerai de cela plus tard. J’essaie tant bien que mal de respecter l’ordre de naissance de mes émotions.
    Je veux revenir à cette terrasse de l’appartement de Pierre dans la vieille ville de Grasse.
    J’arrivais vers la fin de l’après-midi, à l’heure des ocres orangés, quand le soleil du soir fait trembler les façades et met la nostalgie au cœur. Je montais l’escalier en colimaçon, sombre et humide. Il était étroit et quand quelqu’un descendait il fallait que je m’appuie à la rampe de fer forgé dont je sentais le contact froid.
    Mon détachement et mon indifférence, mon audace aussi m’étonnent encore aujourd’hui. Je me souviens pourtant d’avoir à plusieurs reprises trébuché comme si j’avais heurté un obstacle imprévu. J’avais peur

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