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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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qu’il soit, quelle que soit la parole qu’il porte, un homme de la croyance en le meilleur et le plus juste de l’homme. Le reste, les sentiers qu’il prendra, les impasses dans lesquelles il perdra peut-être des années, ne sont à mes yeux qu’anecdotes.
    Mais je te lasse, chère Lucia. Je connais trop bien ton impatience et ce qu’il m’arrive de nommer quelquefois quand je pense à nos années romaines, ta futilité féminine. Cette lettre, la première qui a quelque chance de te parvenir après ces années de guerre, est pour moi l’obligation d’écrire, c’est-à-dire de rester à distance de mes sentiments pour les exposer avec clarté.
    Si le bonheur m’est donné un jour de reprendre pied sur le sol de notre Europe chère, je te demanderai de me donner ces lettres afin que j’y relise les étapes franchies.
    Je n’ai pas le temps de tenir régulièrement un journal, l’enseignement, la prière et la méditation, les fouilles que je poursuis sur le terrain, vaille que vaille, dévorent les jours et les nuits. Que de tâches à accomplir et comme bref est le temps terrestre !
    Où en est Serge ? Me manque de ne point le connaître homme. Comme me manquent Dolorès et Lee.
    Mais je ne veux pas revenir à leur absence, je…
    Dolorès fut surprise par la pénombre. Elle n’avait pas mesuré le battement des heures. Avait-elle parlé à la bonne ? Avait-elle déjeuné ? Elle était étonnée de ne pas voir, assis en face d’elle, Giulio Bertolini, qu’elle sentait si présent. Il lui semblait qu’elle n’avait qu’à tendre la main pour le toucher. Il était là, avec elle, il l’aimait et ne l’oublierait jamais. Cette lettre, s’il l’avait adressée à sa sœur, c’est – Dolorès en était sûre – parce qu’il savait comme savent tous les sorciers, que Dolorès s’en emparerait. Les routes ne sont pas tracées au hasard, les rencontres ne doivent rien aux circonstances. Dolorès se signa, pria, cacha la lettre quand elle entendit rentrer James. Elle sortit du bureau, appelant son mari.
    James Clerkwood l’observait après l’avoir embrassée.
    — Vous n’êtes pas malade ? demandait-il. Vous êtes – il lui prenait le poignet – vous êtes brûlante.
    Elle souriait, elle s’appuyait contre lui. Le moment était venu de l’avertir.
    — Je ne vous ai rien dit, commença-t-elle, j’attendais. Elle s’éloignait, ne le regardait plus.
    — Mais je pense que vous serez d’accord – elle se mit à abandonner l’anglais et parla espagnol. James ne le comprenait qu’avec difficulté. Ainsi elle se sentait plus libre – vous serez d’accord, je crois, reprit-elle, notre enfant s’appellera Giulio, ou si c’est une fille, Julia.
    Elle se retourna parce qu’elle voulait voir la joie sur le visage de James.
    Julia Clerkwood naquit à Paris le 15 février 1921. Elle fit ses premiers pas sur les quais de la Seine. Elle était obstinée et tendre.
    Quand, au début de l’année 1923, James Clerkwood fut chargé d’ouvrir le consulat américain de Hambourg, qu’ils s’installèrent dans cette villa cossue proche des rues élégantes de la Kolonnaden et de la Neuer Jungsfernstieg et dont le jardin donnait sur le Aussen-Alster, Julia manifesta d’abord son mécontentement. Elle refusait de parler à Monica, la jeune Allemande qui la gardait, elle s’accrochait aux jambes de Dolorès, boudeuse, puis tout à coup, quand elle devinait que sa mère s’attristait, elle lui embrassait les mains, et si Dolorès la prenait dans ses bras, Julia à plusieurs reprises baisait ses lèvres.
    Cette envie de pleurer quand le visage de Julia s’approchait, cette joie physique, ce corps alangui, Dolorès ne les avait jamais éprouvés. Elle était née au monde le jour de la naissance de Julia. Et peu lui importait que Miss Altman secouât la tête en signe de désapprobation quand elle voyait Julia embrasser sa mère sur la bouche. Dolorès riait, chuchotait à l’oreille de Julia « pequeña indiana ».
    Elle aimait que Julia fût sauvage, distante avec les inconnus. La surprise n’en était que plus grande de l’avoir vue dans le jardin, courir vers ce vieux couple, des Russes, des exilés.
    — Je leur ai accordé leur visa, disait James Clerkwood, le soir. – Il parlait bas comme à lui-même. – Ils laissent une fille à Petrograd. L’ambassade va protester, m’envoyer une note, une autre au Département d’État mais…
    James haussait les épaules.

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