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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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quitta l’appartement des Cordelier. Elle longea les grilles du Luxembourg, entra dans le jardin, s’assit sous les arbres. Des enfants jouaient autour d’elle, essayant d’attraper les oiseaux. Elle suivit leurs courses naïves, aima leur enthousiasme, leur élan, souffrit de leur déception étonnée. Elle voulait un enfant, vite, elle le comblerait, elle serait la mère indienne qu’elle n’avait pas eue. Les eaux violentes en elle s’assagiraient. Enfin elle serait attachée au monde, aux autres par un lien de chair. Elle se leva, se mit à marcher lentement, tête baissée car elle se rendait compte qu’elle pleurait.
    Elle hésita plusieurs semaines à lire la lettre de Giulio Bertolini. Souvent elle la dépliait, heureuse de retrouver au fil des phrases qu’elle ne comprenait pas, son nom, « Dolorès ». Elle glissait à nouveau la lettre dans l’enveloppe, se surprenait à chantonner. Quand James rentrait de l’ambassade, il s’étonnait qu’elle ne fût pas sortie, s’inquiétait de découvrir l’appartement plongé dans la pénombre. Dolorès assise dans le salon, indifférente à l’obscurité. Mais elle souriait, disait : « Je vous attendais, je ne m’ennuie pas. » Il l’embrassait. « Voulez-vous, disait-il, que je demande à…» Il suggérait de la présenter à des épouses de diplomates, de lui envoyer le professeur de français de l’ambassade. Elle le rassurait, n’osait lui avouer qu’elle était heureuse ainsi, seule, à se souvenir, à se préparer à cet enfant qu’elle désirait de tout son corps et de toute sa mémoire.
    Elle ne lut la lettre de Giulio Bertolini que lorsqu’elle fut sûre d’être enceinte. Elle acheta un dictionnaire espagnol-italien, et un matin, dès que James eût quitté l’appartement, elle s’installa à son bureau. Elle ouvrit les fenêtres, indifférente à la rumeur de la rue de Grenelle. Elle avait besoin de la présence physique du monde, de la lumière du soleil. Elle plaça la lettre devant elle, et commença à traduire, faisant surgir ainsi Lee Lou Ching, dont le père Bertolini parlait longuement. Il avait disparu de la mission au début de l’année 1919 et Giulio s’inquiétait.
    Le chemin que je suis, écrivait-il, m’a conduit deux fois à la rencontre des enfants, mais le destin me les dérobe comme s’il ne m’était pas permis de les aimer égoïstement pour moi-même. Dieu veut sans doute me faire comprendre que l’amour que je leur porte, que la joie que Dolorès et Lee m’ont procurée ne doit pas m’aveugler. La douleur du monde est un océan et Dieu m’y replonge. Je ne verrai sans doute plus Dolorès et j’ai bien peu de chance de croiser à nouveau le destin de Lee Lou Ching. Je sais qu’il est parti vers le sud, peut-être vit-il à Canton. Les idées nouvelles l’ont touché. Je ne m’en inquiète pas. Il les vivra dans la foi, même si, comme cela se produira sans doute, il croit renoncer à Jésus-Christ. Pensant à lui, je ne peux que penser à Serge. J’aimerais tant voir ton fils. Qu’il ait évité ce grand holocauste de la guerre est à soi seul une bénédiction. Ni tuer ni mourir est, en nos temps barbares, une sorte de grâce simple que nous devons demander à Dieu.
    Je devine à tes lettres, ma chère sœur, ton éternelle insatisfaction. Les années ne t’ont pas changée. Je pense à la petite Lucia, j’y pense avec nostalgie et bonheur. Que tu n’aies pas trouvé la paix m’attriste et, je le reconnais, me satisfait : que valent les êtres qui renoncent à ce qui fait la part singulière de leur âme ?
    Ainsi je ne peux reprocher à Lee de m’avoir quitté, d’avoir abandonné la mission et ces enfants auxquels il enseignait. Je le sentais, depuis quelques années déjà, troublé au plus profond par le destin de son pays. Qu’il ait voulu rejoindre ceux qui rêvent de changer la Chine ne m’a pas étonné. J’imagine que même à Paris, dans la petite et grande Europe on sait que la Chine est entrée dans une nouvelle ère de son histoire et que le monde en sera ébranlé. J’aurais sans doute été déçu que Lee fût un homme sans hautes exigences. J’ai espéré un temps qu’il s’engageât au service de Dieu. Mais il a cru qu’il fallait, pour aider les hommes de son pays, choisir d’être à leurs côtés dans ces luttes cruelles et aveugles de la politique. Je ne veux point lui donner tort. Je crois avoir senti en lui ces pousses qui feront de lui, où

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