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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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qu’elle caressait la nuit, si abandonné qu’il devenait un enfant et ce diplomate efficace, pareil à tous les autres. Ce double visage de la vie la heurtait comme la trahison de l’homme de la nuit par celui du jour. Ou peut-être le contraire. Elle s’isolait alors, se contentant de hocher la tête quand son voisin de table s’adressait à elle. S’il insistait, elle répondait par quelques mots d’espagnol qu’elle prononçait d’une manière gutturale, sûre qu’on ne la comprendrait pas. À Paris, ce fut presque toujours le cas. Il lui restait à subir les longs monologues de ces Français que son silence ne décourageait pas.
    Dolorès, au bout de quelques mois, saisissait l’essentiel de leurs propos. Elle aimait cette langue moins âpre que l’espagnol, moins chaotique que l’anglais et elle la parlait avec les domestiques, les vendeuses des grands magasins où elle passait souvent plusieurs heures chaque jour, sans rien acheter, simplement pour toucher les étoffes, frôler les bijoux. Le soir, dans cette capitale où se retrouvaient tous les diplomates du monde négociant les traités de paix, elle accompagnait James aux dîners de l’ambassadeur des États-Unis, ou à l’une de ces réceptions officielles que, heureusement, le poste subalterne encore de James lui évitait d’organiser.
    À l’une d’elles, celle du ministre Tournier, dans l’un de ces grands appartements de l’avenue Montaigne, alors qu’elle s’était assise dans un salon, stoïque, près d’une vieille dame qui somnolait la tête posée sur l’accoudoir du fauteuil, la plupart des invités, une centaine peut-être, debout près des buffets, cherchant à paraître, elle avait vu James s’avancer, accompagné d’une femme d’une cinquantaine d’années, les cheveux très noirs, serrés par un bandeau blanc. Il lui sembla qu’elle reconnaissait ce visage, ou peut-être simplement le regard, une manière de sourire avec les yeux. Pourtant, elle était sûre de ne jamais avoir rencontré cette personne que James lui présentait avec un air de mystère et de joie, presque d’espièglerie. « Dolorès, peut-être vas-tu accepter de parler le français avec madame Cordelier ? Je vous laisse n’est-ce pas, vous avez beaucoup à vous dire. »
    L’émotion tout à coup saisissait Dolorès. On allait évoquer l’Indienne morte, sa mère absente. Elle ne voulait pas entendre, mais Lucia Cordelier s’était assise en face d’elle, se penchait comme si elle avait voulu l’embrasser et Dolorès se souvenait, dans le couvent de La Paz, ce même regard, le père Giulio Bertolini qui lui ouvrait ses bras et Dolorès n’osait s’avancer vers lui.
    — Vous êtes Dolorès, disait Lucia Cordelier.
    Elle serrait un mouchoir dans sa main, le portait à ses lèvres, à son front.
    — Je suis la sœur du père Giulio Bertolini, votre…
    Dolorès regardait autour d’elle comme si elle avait craint qu’on entendît, qu’on ne vît leur rencontre, comprît ce qu’elle dévoilait. Lucia s’était interrompue. Elle voulait sans doute dire « votre père adoptif ». Elle reprenait avec volubilité.
    — Vous êtes une Bertolini comme moi, avant mon mariage, ma nièce, mais oui, nous allons nous voir, n’est-ce pas ? Mon fils Serge a le même âge que vous – elle avait posé sur ses genoux un petit sac de cuir noir qu’elle ouvrait fébrilement, en tirant une photo qu’elle tendait à Dolorès – il est né comme vous le 1 er  janvier. Mon frère, si vous saviez, j’ai gardé la lettre qu’il m’a écrite pour me parler de vous. Il faudra que vous la lisiez, toutes ces coïncidences et je vous retrouve ici, mon Dieu – elle se signait rapidement cependant que Dolorès regardait la photographie, retrouvait les traits de ce jeune homme, qu’elle avait vu sur une photo à La Paz, le jour où elle s’était enfuie. – J’ai toujours voulu avoir une fille, reprenait Lucia ; Serge, Serge il m’aime beaucoup bien sûr, mais c’est un homme, n’est-ce pas ? Il est en Allemagne, à Mayence, soldat oui, déjà. – Elle s’interrompait encore, reprenait la photo de Serge, la regardait, se cachait les yeux avec son mouchoir. – C’est tellement émouvant pour moi, disait-elle, vous viendrez me voir ? Elle plaçait ses mains sur les genoux de Dolorès.
    — Et le père Bertolini ? demanda Dolorès.
    Elle s’étonnait de pouvoir parler, et dénouer ces souvenirs qui l’oppressaient : ces rues en

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