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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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chose. Pétain a la situation bien en main. Quelques exécutions, plus qu’on a dit et moins qu’on ne croit. » – « Trop, trop », avait répété Jean Cordelier. – « Au milieu de cette boucherie – Rudin s’était tu un long moment – j’ai vu une compagnie entièrement massacrée, il ne restait de vivant que deux blessés, deux, Cordelier, alors un fusillé par-ci par-là, ça n’est qu’un corps de plus dans le charnier. »
    Jean Cordelier cachait son visage dans ses mains : « Rudin, vous rendez-vous compte de ce que vous dites, tranquillement ? » « Qui vous dit que je le dis tranquillement ? » Rudin parfois haussait le ton. « Je suis journaliste, Cordelier, je vois. Constater est mon métier, et pour voir je risque ma peau, comme les poilus. Mais je ne veux pas juger. Que ces messieurs – il se tournait vers Jacquet et Tournier – de la Chambre et du Gouvernement, décident. Moi, j’écris ce que je vois. – Il avait un sourire las. – Et l’on imprime ce que messieurs les censeurs choisissent. »
    Serge les écoutait, observait sa mère qui se tenait un peu à l’écart. Il aimait la regarder. Elle penchait la tête, paraissait attentive mais il semblait à Serge qu’elle rêvait. Parfois Jacquet s’approchait d’elle, avec ce sourire séducteur qui irritait Serge. Il entendait : « Ma chère Lucia, nous vous ennuyons, n’est-ce pas ? » À ces moments-là Serge détestait sa mère. Elle minaudait, jouait la surprise : « Moi, mais pas du tout, je préfère la politique à la physique, vous le savez. » Jacquet riait avec Lucia, disait : « Ce n’est pas plus simple pourtant. » « Plus proche de moi », répondait Lucia. Jacquet s’inclinait. Serge rentrait dans sa chambre, prenait son manteau, s’apprêtait à sortir mais sa mère l’attendait dans le hall. « Tu pars », disait-elle. Il bougonnait. « Vous m’ennuyez, toujours les mêmes mots. » « Où vas-tu ? » Il haussait les épaules. « Tu rentres tard ? Dis-moi, tu sais que je vais t’attendre. » « Bavarde avec Jacquet, répondait Serge, il t’amuse je crois. » Il claquait la porte. Il était injuste, avait le désir de remonter, de prendre sa mère contre lui, mais l’élan, la colère étaient les plus forts.
    Il errait dans les rues du Quartier latin, retrouvait parfois le fils du professeur Dubost, Claude, qui était étudiant en médecine. Chaque soir, il passait plusieurs heures au Carabin, une petite boîte de la rue Hautefeuille, non loin de la Faculté. Serge se plaçait près de lui, le dos appuyé au comptoir. Des filles le frôlaient, provocantes, le visage peint, les yeux cernés de noir, les lèvres couleur sang. Elles avaient le corps anguleux, les cheveux courts. Il semblait à Serge qu’à les serrer contre lui elles se fussent-rompues. Aussi quand elles s’approchaient, le sac de fil d’argent glissé sous l’aisselle, un foulard de soie blanc autour du cou, se collait-il contre le comptoir pour ne pas les effleurer. Mais elles s’arrêtaient, riaient, chuchotant entre elles et, du coude, elles touchaient la poitrine de Serge, puis allaient s’asseoir à une table. Des officiers, souvent des Anglais ou des Américains, les rejoignaient et elles partaient avec eux qui les tenaient par la taille. Claude Dubost était indifférent. Il paraissait rêver, buvant un alcool rouge, rejoignant vers minuit Lucienne, l’infirmière de l’hôpital Laennec qui, disait-il à Serge, « chauffe mon lit ». Au moment de sortir, il retournait vers Serge : « Tu veux quelqu’un oui ou non ? Tu donnes quelques francs chaque semaine, et la fille est à toi comme une petite chienne, toute fidèle. Tu n’as qu’à dire oui, je mets Lucienne en chasse, deux jours et tu as ton lit. » Brûlure dans la gorge de Serge qui riait, refusait. « Puceau tu es, puceau tu resteras », disait Claude en s’éloignant. Serge commandait un autre verre, rêvait qu’il allait retenir la première fille qui entrerait, lui prendre le bras, l’entraîner vers la table la plus éloignée de la scène, dans l’un des coins sombres. Il poserait dès les premières secondes sa main sur les genoux de la fille, et ils partiraient très vite ensemble, hanche contre hanche. Après, elle serait nue au milieu d’un lit, jambes écartées. L’émotion de Serge était si forte qu’il ne voyait plus la salle, les filles qui s’attardaient devant lui. Il sortait saisi par

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