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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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l’humidité glacée de la petite rue, déçu et las. Il évitait un groupe de soldats qui zigzaguaient sur la chaussée, se tenant par le bras, hurlant « un bordel, un bordel ». Il rentrait chez lui sachant que sa mère l’attendait, somnolant dans le salon. Elle n’aurait pas un mot de reproche, elle s’avancerait, caresserait sa joue. « Tu as froid, dirait-elle, tu veux quelque chose ? » Elle l’embrasserait, tendre, se laissant aller contre lui, si proche qu’il sentirait ses seins, qu’il s’écarterait avec brusquerie, gêné. « Bonne nuit maman », dirait-il pour éviter qu’elle ne parle, qu’elle ne lui confie sa vie : « Ton père, comprends Serge, je l’admire infiniment, c’est un savant, mais pour une femme, je l’ai épousé, il était déjà vieux, je ne me suis pas rendu compte, est-ce qu’on sait quand on a vingt-cinq ans ? Je vivais à Rome, j’étais seule, ton grand-père ne s’intéressait qu’à ses recherches. Giulio, comment pouvait-il me conseiller, il est très bon, très fin, Giulio, mais se marier, il ne sait pas ce que cela signifie pour une femme. » Serge s’éloignait dans le couloir, suivi par sa mère. « Tu ne m’écoutes pas, Serge, vous autres, tu es un homme déjà comme eux, vous êtes égoïstes, les femmes ne vous intéressent pas, il faut se dévouer pour vous, mère, épouse. Quand ils espèrent quelque chose, ils nous flattent – elle hésitait, soupirait et souriait à la fois – je te montrerai les lettres de Jacquet, il se dit l’ami de ton père, mais…»
    Serge avait envie de claquer la porte de sa chambre, il ne voulait plus entendre mais en même temps sa mère le fascinait, comme la première et seule femme qu’il connût, celle qui détenait le secret qui conduisait à toutes les autres, la grande initiatrice et l’infranchissable obstacle. « Tu as vu Jacquet, il tourne autour de moi, seulement je ne suis pas de ces femmes-là. En ce moment pourtant, Jacquet n’aurait qu’à lever la main, toutes ces femmes d’officiers, les maris sont au front, mais elles, on m’a raconté…» Lucia s’asseyait sur le lit de son fils, le regardait, souriait : « Tu es beau tu sais, tu ressembles à Giulio, quand il avait ton âge, je crois que j’étais amoureuse de lui, j’étais jalouse. Mes amies me disaient « ton frère, pourquoi ne vient-il pas avec nous ?…» Mais Giulio a toujours été grave, même avant la mort de maman. Tu sais que l’Indienne qu’il a adoptée s’est fiancée, le notaire m’a écrit, avec un diplomate américain, c’est drôle le hasard…»
    Serge observait sa mère dans la pénombre de la chambre. Elle paraissait si jeune, si séduisante, comme les filles qui entraient au Carabin, qu’il n’osait la dévisager longtemps, mal à l’aise, bougon tout à coup, « j’ai sommeil, maman » répétait-il. Mais elle s’attardait ; des mots, des souvenirs, des déceptions et des coquetteries plein la gorge. Quand elle parlait, ses seins se soulevaient sous la robe de chambre de soie rose. « C’est drôle le hasard, tu ne trouves pas, Serge, reprenait Lucia, cette petite fille, à l’autre bout du monde, qui est née comme toi le 1 er  janvier, que mon frère adopte, tu veux être diplomate et elle va se marier avec un diplomate. Souvent j’ai des regrets. » Elle mettait la main sur sa poitrine comme pour réprimer un mouvement, un soupir trop fort « et puis je pense, ajoutait-elle, le destin, tout est écrit avant, on ne peut rien, il faut accepter ».
    Elle se taisait, se levait enfin : « Je te laisse dormir, disait-elle, heureusement que je t’ai, Serge, je remercie Dieu. » Elle l’embrassait et Serge la laissait s’appuyer à lui, soupirer, l’embrasser à nouveau sur la joue, si près de ses lèvres.
    Il trouvait difficilement le sommeil, à l’écoute des bruits de la rue, des chuchotements dans l’appartement, du pas de son père, traînant. Jean Cordelier au milieu de la nuit se dirigeait vers son bureau. Serge l’imaginait une chaufferette sous les pieds, une couverture enroulée autour de ses jambes, le col de la robe de chambre relevé sur la nuque, un béret enfoncé jusqu’aux sourcils, les mains seules mobiles dans le cône de lumière que projetait l’abat-jour d’opaline verte.
    Le matin, Serge retrouvait son père au salon. Raoul venait d’apporter les journaux. Marthe avait servi le café. Jean Cordelier poussait les journaux vers son fils.

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