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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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avoir vu au conservatoire.
    Elle s’étonnait de cette agressivité, du plaisir qu’elle avait à mettre ce jeune homme mal à l’aise. Il rit, prenant congé, boutonnant sa veste, baisant cérémonieusement la main de Nathalia Berelovitz, s’inclinant devant Sarah qui ne bougeait pas, debout près du piano.
    — Je ne suis pas acteur, dit-il, j’espère simplement être un jour diplomate.
    Il avait parlé avec sérieux et modestie pour la première fois.
    — Je plaisantais, dit Sarah.
    Il secoua la tête :
    — Mais non, répondit-il, un diplomate est un acteur, il représente.
    Il était à nouveau suffisant, satisfait de sa remarque.
    — Je n’aime que la vérité, dit Sarah.
    Le sourire de Serge se figea. Il se tut regardant intensément Sarah si bien qu’elle détourna les yeux, toussota :
    — Vous jouez avec une très grande vérité, Mademoiselle, dit Serge. Je vous prie de m’excuser si j’ai été importun.
    Nathalia Berelovitz venait vers eux, inquiète, devinant un affrontement.
    — Il faudrait nous revoir, dit-elle, nous sommes voisins, il suffit de traverser le jardin. J’aime beaucoup le Luxembourg.
    Serge continuait de regarder Sarah.
    — J’imagine que Mademoiselle votre fille est très occupée, dit-il.
    — Sarah, mais non, elle est toujours avec moi, répondait Nathalia. Qui pourrait-elle voir ? Elle ne peut pas me laisser. Moi et le piano…
    — Tu oublies Web, dit Sarah sèchement.
    Elle se dirigea vers l’entrée, précédant Serge et Nathalia Berelovitz.
    — Laissons faire le hasard, dit Serge au moment où il sortait.
    Il resta quelques instants sur le trottoir de la rue d’Assas, regardant les fenêtres du premier étage, reculant brusquement quand l’un des volets s’ouvrit. Il reconnut Sarah qui semblait regarder le ciel, très clair, les nuages d’un blanc bleuté. Elle parut se pencher, observer la rue. Serge se colla contre la porte. Il était anxieux et joyeux. Il entendit Sarah qui fermait le volet et s’éloigna alors, descendant la rue d’Assas. Il n’avait aucune envie de rentrer, de retrouver dans le grand salon toujours les mêmes bonzes, Masseron qui après chaque phrase approuvait d’un « mais oui » ce qu’il venait de dire, Jacquet ou Tournier qui revenaient d’une séance à la Chambre, qui chuchotaient des secrets que Serge entendait répéter depuis des semaines déjà, rue Saint-Guillaume à l’École Libre des Sciences Politiques où il suivait les cours de politique étrangère de Dubost. « Clemenceau, disait Jacquet, sera pour les défaitistes d’une sévérité exemplaire. Robespierre, il nous faut Robespierre si nous voulons vaincre. Valmy et Fleurus croyez-vous que sans Robespierre cela eût été possible ? » Tournier approuvait. À la Chambre, il avait voté « plutôt deux fois qu’une, répétait-il, pour l’investiture de Clemenceau ».
    — Mon cher Cordelier, ajoutait Tournier, vous êtes un savant, un professeur, vous n’avez pas de responsabilités politiques, vous êtes une conscience morale. Je comprends votre pacifisme, mais nous, nous remuons la terre, nous avons les pieds dans la boue, nous devons décider.
    Serge assistait à ces conversations, debout, appuyé au montant de la porte, sachant que son père allait se lever, dire de sa voix sourde :
    — Ce sont les fantassins qui sont dans la boue, pas vous, Messieurs, c’est à eux que je pense.
    Serge eût voulu que son père eût plus de violence. Il avait parfois la tentation de s’avancer au milieu du salon, d’interrompre son père, de leur dire, à Masseron, à Tournier, à Jacquet : « Vous êtes vieux, ce sont les jeunes hommes qui meurent, ceux qui, il y a un an, étaient assis avec moi dans le café de la rue Saint-Guillaume, à deux pas de l’École. Avez-vous lu les noms qu’on ajoute dans le hall, chaque semaine, à la liste de nos héros ? » Mais Serge se taisait. Il n’avait pas plus le droit de parler que Jacquet ou Masseron, son père ou Tournier. Il n’était pas un homme du front. La guerre, il ne la connaissait que par les articles de Rudin, les confidences que le journaliste faisait à mi-voix quand il rentrait de Verdun et de la Somme. « Horrible, ces gaz, les hommes avec leurs masques ont le visage de monstres, quand ils sont blessés, ils suffoquent. Horrible, Cordelier, insoutenable. Et pourtant, ils ne reculent pas. Ces mutineries dans quelques régiments, c’est un avertissement bien sûr, mais peu de

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