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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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les lèvres, allant de l’un à l’autre, interpellant Kuron, les musiciens. Sarah fit quelques pas dans la direction du quai d’Orléans, croisa les premiers spectateurs qui sortaient, un couple qui se retourna comme s’il l’avait reconnue. Sarah n’était pas capable de les affronter. Elle releva le col de son manteau, se voûta, ses épaules rapprochées comme si elle eût voulu se dissimuler en elle-même. Elle marcha vite sans tourner la tête afin de ne pas voir la Bibliothèque Polonaise, craignant d’être aperçue, traversant le pont de la Tournelle puis s’engageant dans ce défilé aux murailles noires qu’est la rue du Cardinal-Lemoine.
    Par à-coups, le vent la prenait de front, s’insinuant, lui glaçant le dos. Elle grelotta, Paris était désert et limpide. Des clochards s’insultaient sous le porche de l’église Sainte-Geneviève. Sarah entendit leurs voix grasseyantes. Elle marcha plus vite encore, courant même parce qu’ils s’étaient tus quand elle était passée près de l’église, qu’elle n’aimait pas la place du Panthéon, cette étendue funèbre de pierre et de parois hautes et nues. Elle longea le Jardin du Luxembourg, flânant presque, laissant sa main aller contre les grilles, sensible à cet air plus humide qui portait l’odeur des feuilles tombées, entassées au milieu des allées en de gros volumes roux. Sarah se souvint de Varsovie, mémoire si profonde, d’avant la parole, quand avec son père elle regardait couler la Vistule, où flottaient au début de l’hiver des arbres morts.
    Rue d’Assas, elle vit, avant d’entrer, de la lumière qui filtrait au travers des volets. Sa mère maintenant qu’il faudrait écouter, pleurs et plaintes.
    Une seule fois, il y avait plus d’un an, Sarah s’était attardée avec quelques camarades du conservatoire, elle avait bavardé avec insouciance, heureuse, improvisant au piano une polka, puis dansant avec Charles Weber, Web ainsi qu’on l’appelait au conservatoire, un jeune violoniste d’origine alsacienne que Sarah parfois rencontrait au Jardin du Luxembourg, quand elle s’y promenait avec sa mère. Il lisait, assis sur un banc près de l’allée ; quand il les voyait, il saluait avec cérémonie, marchait près de Nathalia Berelovitz, parlant avec elle, semblant ignorer Sarah. Il portait une longue écharpe dont la laine rouge vif tranchait sur le costume de velours noir.
    Sarah s’irritait de la complaisance de Web pour sa mère. Ces jours-là, elle le trouvait servile et son visage aux traits réguliers, la bouche à peine marquée, les cheveux blonds, lui semblait fade. Mais au conservatoire, quand elle distinguait sous les mèches ses yeux d’un vert intense cependant qu’il semblait tout entier lié au violon, il était d’une beauté si parfaite – les mains, elle aimait surtout ses mains fines et blanches, un peu bleutées – qu’elle osait à peine le regarder tant elle était émue. Elle avait donc dansé avec lui, la tête baissée et avec son menton, il lui effleurait le front. Quand elle était rentrée, la concierge s’était avancée haussant les épaules. « Votre mère, vous la connaissez pourtant, vous pouvez un peu penser à elle. » Sarah montait en courant. Madame Tureau ouvrait, maugréait : « J’ai eu très peur, j’ai téléphoné à votre ami le docteur. » Joseph Lazievitch l’empêchait de continuer, embrassait Sarah en souriant. « J’étais chez moi, tout à fait par hasard, le malade – il clignait de l’œil à Sarah – que je devais opérer était mort hier. » Il prenait Sarah par l’épaule, murmurait : « Ce n’est rien, bien sûr, ne lui en veux pas, elle est seule, la mort de ton père, elle ne s’en remettra pas. » Il parlait calmement, retenant Sarah au moment où elle s’apprêtait à entrer dans la chambre de sa mère. « Mais elle vivra très, très longtemps, crois-en mon expérience. Si elle mourait comment pourrait-elle souffrir ? »
    Nathalia Berelovitz était couchée, une compresse posée sur le front et les yeux, les bras écartés, les mains ouvertes. « Je m’en vais, murmura Joseph Lazievitch, j’ai aussi de vrais malades. » Il ajouta à haute voix : « Nathalia, je vous apporte un remède très vigoureux, amer mais radical, vous me jurez de le prendre. » Nathalia se mit à geindre : « Joseph, que lui est-il arrivé, vous le savez, vous me le cachez, avec cette guerre. » Sarah se pencha, embrassa la paume de sa

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