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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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un accent étranger.
    — Vous n’êtes pas française ? demanda-t-il.
    Elle l’invitait à s’asseoir, elle croisait les jambes, elle passait ses doigts sous ses cheveux pour qu’ils bouclent.
    — Vous avez remarqué, disait-elle.
    Il buvait un deuxième cognac, elle avançait son verre, le heurtait à celui de Serge en approchant son visage si bien que leurs lèvres au-dessus des verres se frôlaient.
    — Votre voix, commença Serge.
    Il se sentait bien, il allongeait les jambes et sous la table touchait celles de la jeune femme.
    — Je m’appelle Lea, murmurait-elle. Je suis italienne.
    Elle frottait la pointe de sa chaussure contre la cheville de Serge.

4

PROVIDENCE

1923

De Lea, de la manière dont la jeune femme avait dégrafé sa robe, l’avait posée sur le dossier du fauteuil, veillant à ce qu’elle ne se froisse pas, la lissant avec soin, Serge Cordelier, cinq ans plus tard – c’était la fin de décembre 1923 – se souvenait encore. Oublierait-il jamais les gestes de Lea, l’indifférente douceur avec laquelle elle lui dénouait sa cravate, déboutonnait son gilet de soie puis la chemise. « J’aime bien quand c’est la première fois pour un homme », disait-elle en riant. Elle s’éloignait de Serge, allumait une cigarette, s’asseyait sur le lit, étrange de la voir, les épaules nues, la taille et le buste serrés dans un corset rose orné de dentelles noires. « Après », commençait-elle, elle s’appuyait sur les coudes, et Serge détournait la tête pour ne pas regarder le haut des cuisses, « après, reprenait-elle d’une voix moqueuse, vous êtes tous pareils, vicieux, mais la première fois – elle se levait, écrasait le bout de sa cigarette dans le bidet – vous me donnez toujours envie d’avoir un enfant, un garçon ».
    Elle s’était mise à chantonner en italien et Serge reconnaissait ce refrain que sa mère parfois, le matin surtout, quand elle se coiffait, qu’il entrait dans sa chambre fredonnait elle aussi, mama mia dami cento lire che in America io voglio andar, mama mia… Sans doute avait-il murmuré les paroles puisque Lea s’était interrompue, le visage grave tout à coup : « Tu es italien ? », demandait-elle. Il secouait la tête. « Ma mère », expliquait-il. Lea riait, « mama mia », répétait-elle, « la première fois et le fils d’une Italienne », « Vieni qui bambino ». Elle le prenait par le cou, l’attirait sur le lit, le forçait à s’étendre, parlait en italien sans qu’il comprît ce qu’elle disait, ne voyant d’elle que ses yeux, les boucles sur le front, et son sourire, « ragazzo, ragazzo », disait-elle.
    Cinq ans avaient passé, tant de femmes déjà, Florence, Christiane, Mireille, Rosalie, d’autres dont il avait tout oublié, sinon qu’elles avaient accepté de le suivre, après le souper, dans le petit appartement qu’il avait loué rue de Tournon, qu’elles entraient, les unes timides, n’osant pas retirer leurs gants, et Serge murmurait : « Je vous en prie, il fait très chaud ici. » D’autres délurées, qui faisaient le tour des deux pièces avant même que Serge ait fermé la porte, jetant leur manteau sur le lit : « Alors c’est là ? Vous, vous aimez le confort », elles riaient, provocantes, « vous avez sûrement quelque chose à boire ». Elles ne se dérobaient pas et Serge aimait le naturel de leur abandon, l’honnête simplicité de leurs baisers, la camaraderie sans illusion qui les liait après, pour quelques heures, la hâte avec laquelle elles s’habillaient « tout ça c’est bien beau, mon coco, mais je commence à huit heures, quelle tête j’ai ! ». Elles se poudraient, disaient : « On se revoit quand tu veux, mon chou. » Elles tiraient la porte délicatement pour qu’il continue de somnoler mais il était incapable de rester.
    Ce désespoir – le mot il ne l’avait employé que plus tard, ici, à Essen, en ce mois de décembre 1923, parce qu’il venait de se souvenir de Sarah Berelovitz, qu’il parcourait ces cinq années, de sa première nuit avec une femme, Lea, qui avait murmuré : « Ne reviens pas, le bordel c’est pour les pauvres types, à la place d’un homme je ne voudrais pas payer, quand on est comme toi. » Elle lui caressait la joue, haussait les épaules : « Si tu reviens, demande-moi, si je suis prise attends-moi, je suis jamais longue, j’aime pas. » – oui le désespoir quand Serge restait allongé sur

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