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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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« Ils n’en finiront pas, disait-il, parfois je me demande s’il ne faudrait pas comme en Russie, une grande secousse, pour que ces fous comprennent que la guerre n’apporte jamais de solution. » Il s’interrompait, regardait son fils. « Mais toi, dans ta génération que pensez-vous ? » Serge se dérobait, buvait rapidement une tasse de café, regardait les titres : «  Mata Hari, l’espionne allemande, a été exécutée ce matin » , la proclamation de Clemenceau : «  Je fais la guerre ! » ou la photo qui représentait le débarquement des contingents américains.
    « Oui, reprenait Jean Cordelier, que penses-tu ? » Cette impossibilité de répondre à son père, comme une angoisse et une colère mêlées qui contraignaient Serge à se lever, à hausser les épaules, à marmonner : « Je ne pense rien, je me moque de la guerre, s’il faut y aller, j’irai. » Il regagnait sa chambre, s’y enfermait sous prétexte qu’il voulait travailler. Mais Marthe passant par le cabinet de toilette le surprenait, couché sur le lit, les mains sous la nuque, un livre fermé près de lui. Elle l’obligeait à sortir : « Je dois faire votre chambre, Monsieur Serge, si je ne la fais pas maintenant, après…» Il allait s’asseoir au Luxembourg ou bien rêver dans la bibliothèque des Sciences Politiques dont les fenêtres donnaient sur un jardin.
    Souvent ces flâneries le conduisaient vers Montparnasse, ses brasseries, la Coupole ou le Dôme dont il aimait l’atmosphère bruyante de hall de gare, les filles alanguies, trop pâles, ou celles exubérantes, les cheveux dénoués sur leurs épaules, qui embrassaient plusieurs hommes, joyeusement, avec tant de liberté de mouvement que Serge se sentait exclu de la vraie vie.
    Souvent il déjeunait seul, un journal déplié devant lui, incapable de fixer son attention pourtant, tellement les visages l’attiraient. Il donnait un gros pourboire, passait avec une indifférence affectée devant les portes closes du Sphinx, « le plus beau bordel du monde », disait Claude Dubost, « l’empire romain, des colonnes, des femmes, offre-toi ça, Cordelier ».
    Revenir dans la nuit, entrer, choisir l’une de ces femmes dont Dubost disait qu’elles étaient assises sur les marches d’un escalier monumental, les voiles laissant voir leurs jambes longues. Mais Serge se laissait prendre par l’atmosphère du Carabin et quand il quittait la rue Hautefeuille, l’heure lui paraissait trop avancée pour le Sphinx.
    Prétextes.
    Le soir du concert, quand après avoir descendu la rue d’Assas, il atteignit la rue de Rennes, qu’il se dirigea vers la gare Montparnasse pensant à Sarah Berelovitz, à l’ironie de cette jeune fille austère, qu’il se sentit humilié par le souvenir des phrases qu’elle avait prononcées, « vous êtes acteur », il sut qu’il pousserait les portes du Sphinx cette nuit-là ou jamais. Il fallait qu’enfin une femme plie, qu’il la loue ou la séduise. Il se coiffa devant la glace d’un magasin, serrant ses mâchoires, regrettant parce qu’il avait voulu suivre la mode américaine, la fine moustache qu’il avait portée dès que, il y a deux ans, il avait commencé à se raser. Il marcha, claquant fort les talons sur le trottoir, jetant avec assurance son manteau à la jeune femme souriante qui tenait le vestiaire du Sphinx, allumant aussitôt une cigarette, commandant un cognac, buvant d’un trait, osant, enfin, regarder ce salon cossu aux fresques peintes sur le plafond et les murs.
    Beaucoup d’officiers étrangers, quelques bourgeois aux costumes sombres, le visage blafard, des jeunes gens élégants semblables à ceux qui fréquentaient Sciences Politiques, le café de la rue Saint-Guillaume, le cours du professeur Dubost et dans lesquels Serge reconnaissait avec irritation son image, col blanc et veste cintrée. Il n’était que l’un d’eux.
    Il en voulut à Sarah Berelovitz de l’avoir tenu à distance, forcé à se trouver dans ce salon où l’on bavardait à mi-voix, où une femme brune, les cheveux bouclés, une longue robe blanche qui s’ouvrait haut, s’avançait vers Serge, lui demandait s’il pouvait lui offrir du feu, murmurait, le prenant par la main : « Vous venez ici pour la première fois, n’est-ce pas ? Voulez-vous que je vous serve de guide ? »
    Elle avait une main menue, un peu moite, elle parlait si bas que Serge ne découvrit qu’après quelques phrases qu’elle avait

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