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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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lançait dans un coin de la pièce en frottant ses mains. « Encore toi, camarade artiste ? Qu’est-ce que tu nous veux ? » Il se frappait tout à coup le front avec le poing, s’exclamait grave : « Spasskaief, ton père, bon, bon, je suis sûr de lui, mais les camarades de la Tchéka en ce moment, ils brûleraient notre Peter pour tenir Cronstadt. » Il entraînait Anna en lui prenant le bras. « On va régler ça avec eux, on leur dira que s’ils veulent des fusils il nous faut l’ingénieur Spasskaief, non ? »
    Machkine traversait la cour, les pans de son manteau de cuir flottant autour de lui, sa casquette rejetée en arrière, se retournant pour dire à Anna : « Dépêche-toi, ils vont nous l’envoyer casser la glace. » Elle s’asseyait près de lui dans la voiture découverte, le froid lui figeant les paupières et les lèvres. Tout en conduisant Machkine passait son bras droit sur les épaules d’Anna, soulevant le col de son manteau. « Artiste, disait-il, tu vas avoir le bout du nez gelé. »
    Non loin du Palais d’Hiver, dans cette avenue de la Sadovaia où les cortèges tant de fois s’étaient arrêtés, les premiers rangs hésitant à s’enfoncer entre ces immeubles gris aux balcons lourds soutenus par des colonnes aux corps de femmes, Machkine avait montré à Anna un bâtiment devant lequel patrouillaient des sentinelles. Elles portaient sur leur bonnet pointu l’étoile rouge, la baïonnette était enfoncée au canon de leurs fusils et quand Machkine immobilisa la voiture devant l’entrée, Anna vit au pied des escaliers une mitrailleuse, ses servants assis sur les marches de marbre. « Viens avec moi », dit-il.
    On refusait de les laisser entrer, il cria, montra sa carte du Parti bolchevique. Anna imaginait derrière les portes qui s’ouvraient le long des couloirs son père debout, les mains liées.
    Quand, des jours ayant passé, Anna se souvint de cette visite au siège de la Tchéka, elle entendit à nouveau les éclats de voix, celle de Machkine et, quand il se taisait, venue du haut de l’escalier une autre voix, mots indistincts dont on devinait la violence. Anna avait suivi Machkine, il riait, disait : « À la Tchéka, ils imaginent que nous sommes tous des impérialistes. » Bruit assourdi d’une machine à écrire, cependant qu’Anna attendait, Machkine entré seul dans un bureau, et parfois le nom de Spasskaief atteignait Anna. Son corps se couvrait de sueur, elle devait maîtriser le tremblement de ses mains.
    Elle attendait, baissant la tête quand un soldat passait près d’elle ; l’un d’eux l’interrogeait : « Qu’est-ce que tu veux, camarade ? » Elle désignait du menton la porte derrière laquelle se trouvait Machkine. Le soldat hésitait, entrouvrait la porte. Anna apercevait un officier assis derrière un bureau, l’étui de son pistolet posé devant lui, Machkine, debout, qui se retournait, disait en clignant de l’œil au soldat : « Ne me l’arrête pas, c’est notre artiste. » Le soldat refermait la porte, souriait à Anna avant de s’éloigner.
    Heures ou minutes, Anna ne pouvait le dire. Machkine était ressorti agitant un papier. « Le voilà Boris Spasskaief, disait-il, on va le sortir nous-mêmes, viens. » Il entourait les épaules d’Anna de son bras, cependant qu’ils descendaient les escaliers, obligés de se coller contre la rampe pour laisser passer un groupe de soldats qui montaient entourant une dizaine d’hommes têtes nues, les bras ballants, comme ont souvent les prisonniers ; au milieu d’eux une femme altière, qui provocante regarda Anna, dit : « Tiens, ils ont aussi des femmes pour faire ce sale métier. » Un peu de boue sur le visage d’Anna, de la terre dans sa bouche, l’envie de répondre qu’elle n’était pas de la Tchéka, mais déjà le groupe avait disparu, Machkine obligeant Anna à continuer de descendre. « Que veux-tu, disait-il, c’est la guerre, eux ou nous, des siècles qu’ils nous tuent, non ? Si on se défend pas…»
    Il s’emportait comme si Anna lui eût répondu alors qu’elle se taisait, qu’elle s’asseyait près de lui dans la voiture, découvrait que la nuit était tombée, les baïonnettes des sentinelles brillant dans la lumière ténue des lampadaires les plus proches. « Laisse-moi à l’hôtel Bristol », avait dit Anna, et sans qu’elle réfléchît, elle avait un instant posé sa tête contre l’épaule de Machkine : « Viens

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