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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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violente. De la voix aiguë des colères, elle criait à son père : « L’infection petite-bourgeoise, la peste anarchiste, le travail de sape des Blancs et des Anglais. » Elle répétait ce qu’elle lisait affiché dans le hall de l’hôtel Bristol ou bien encadré à la première page des Izvestia ou de la Pravda. Evguenia Spasskaia s’avançait, se plaçait entre sa fille et son mari, tendait un bras vers l’un, vers l’autre : « Est-ce si important pour nous ? » disait-elle. Anna se détournait, faisait quelques pas jusqu’à la fenêtre, apercevait le jardin dont on avait coupé les arbres. Elle se souvenait de Wladimir, des fleurs au printemps. Elle disait sans regarder ses parents : « Nous avons changé de monde, l’ancien ne reviendra pas, jamais. »
    Son père toussait trop longuement. Insupportable cette toux qui finissait en hoquet. Anna avait envie de se boucher les oreilles, elle savait que sa mère allait murmurer : « Il fait trop froid, viens ici, Boris, viens. » L’intimité de ses parents, leur tendresse comme une manière subtile de l’exclure, de la renvoyer à la solitude. « Je m’en vais », disait Anna. Elle espérait qu’on la retiendrait et le plus souvent, comblant ce désir enfoui, Evguenia s’approchait de sa fille. « Attends », disait-elle. Elle l’obligeait à revenir vers eux, à s’asseoir entre eux devant le poêle. Evguenia y enfouissait de vieux journaux, des pieds de table, des branches, elle riait. « On est tous les trois, comme quand tu étais petite. » Le silence, le feu qui prenait mal, la fumée qui envahissait la pièce et Boris Spasskaief qui recommençait à tousser en se courbant. Evguenia soufflait sur le foyer, disait à Anna « aide-moi » et toutes deux réussissaient à faire naître les flammes. Elles riaient, le visage rouge. « Macha, disait Evguenia, notre Macha m’a fait porter…», elle baissait la voix comme si on pouvait la surprendre, ouvrait le bahut qui avait contenu les liqueurs, montrait un sac de farine. « Si tu viens, un matin, nous ferons des galettes. » Evguenia s’asseyait à nouveau près d’Anna, murmurait « et le piano, tu ne joues plus ? Tu étais une artiste Anna, tu dois…»
    Anna mains coupées.
    Elle se levait, embrassait sa mère, avait un instant d’hésitation devant son père. « Tu dors où ? » demandait-il. Elle lui tournait le dos. « Comprends, chuchotait Evguenia, il souffre beaucoup, à l’usine, pour toi aussi. » Anna avait hâte de partir, la crainte qu’ils ne l’affaiblissent davantage, d’un mot, d’une question. Elle se savait vulnérable et incertaine, elle avait l’intuition qu’ils possédaient toutes les armes contre elle, elle avait envie de leur crier : « Ce que vous pensez je le vis comme si j’étais vous, ne dites rien. » Mais Boris Spasskaief, au moment où elle sortait, ajoutait lentement, avec une indifférence feinte, paraissait s’adresser à Evguenia. « Leur police, la Tchéka, ils ont arrêté Kim Kalouguine, l’ingénieur de fabrication. Social-démocrate, accusé de je ne sais quoi, de conspirer avec les marins de Cronstadt. Ils arrêtent. Je suis sur la liste. »
    Comment ne pas les regarder, affronter leurs inquiétudes et leurs reproches. Boris Spasskaief fixait sa fille : « Cela ne t’étonne pas, je pense. La terreur, il faut bien que cela frappe. » Boris Spasskaief plaçait ses mains au-dessus du poêle. « Les ennemis de la révolution, reprenait-il, l’infection petite-bourgeoise, c’est Kalouguine – il avait la tête baissée, se taisait un long moment puis redressant la tête, il ajoutait – c’est moi, Boris Spasskaief. »
    Anna claquait la porte, traversait le jardin en courant, butait contre la neige accumulée devant le portail. « Pourquoi pas eux ? »
    On arrêta Boris Spasskaief au moment où les obus des insurgés de Cronstadt crevaient la glace sur laquelle avançaient les Cadets rouges qui donnaient l’assaut aux forts de l’île ; quand dans la cour de l’usine Ogirov Machkine clamait qu’il fallait « abattre les rebelles comme des perdreaux », quand derrière les troupes bolcheviques, afin de les contraindre à avancer, les hommes de la Tchéka mettaient des mitrailleuses en batterie.
    Une nouvelle fois Anna demanda à être reçue par le responsable bolchevique de l’usine Ogirov. Elle savait rencontrer Machkine. Il l’accueillait en souriant, il enlevait sa casquette, la

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