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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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après », ajoutait-elle. Il l’observait avant de repartir, silencieux la plus grande partie du trajet, disant seulement quand il s’arrêtait devant l’hôtel Bristol. « Camarade artiste, je fais pas ça pour toi, l’usine a besoin de Spasskaief. » « Viens après », avait-elle répété.
    Elle l’avait attendu, assise sur le lit, ne pensant à rien, peignant ses cheveux dénoués, les plaçant devant elle, masquant ainsi son visage et elle osait alors se regarder, puis elle prenait les longues mèches à deux mains, faisait glisser ses cheveux dans le dos, laissant libres le front et les yeux mais alors elle détournait la tête pour fuir le miroir. Une fois – depuis combien de temps attendait-elle Machkine – elle ouvrit la veste molletonnée, souleva sa blouse, caressa ses seins, se souvenant de sa première nuit, la seule, avec Machkine, et elle éprouva la même sensation de froid. Elle osa, sa blouse ainsi retroussée, ses seins nus, se regarder dans le miroir, et elle resta longtemps ainsi surprise par l’image de son corps, ses seins ronds, lourds, nettement séparés, qu’elle aimait effleurer, soulever de ses paumes. Elle s’allongea et fit, jambes levées, se servant de la pointe de ses pieds, l’un après l’autre, glisser ses bottes, les laissant retomber de chaque côté du lit. Elle était sans impatience et sans crainte, il lui semblait qu’elle avait atteint le sommet qu’elle avait commencé de gravir, il y avait déjà plusieurs années, dans cet hôtel même, quand Machkine s’était couché sur elle. Elle pensait à cet échange qui s’opérait, Machkine contre son père. Pas un marché, et pourtant la substitution était réelle, elle se libérait de l’homme qui lui avait donné la vie. Elle lui ouvrait la porte d’une prison, elle se sentait le droit, le plein droit, d’être à un autre, de vivre avec lui s’il le voulait.
    Machkine poussa la porte, s’appuya des deux mains aux montants du lit, comme autrefois. « Tu vis comment, camarade artiste ? » dit-il.
    Puis il enleva lentement son manteau, sa veste et il resta ainsi, sa chemise serrée à la taille par une large ceinture, la casquette enfoncée jusqu’aux sourcils parce qu’il avait dû, dans la voiture, avoir froid.
    — Tu vis comment ? répéta-t-il.
    Il ne parlait pas de son père et elle ne le questionnait pas, sûre que Boris Spasskaief avait été relâché puisque Machkine était devant elle, à la regarder.
    — Et toi ? demanda-t-elle.
    — Mal, dit Machkine, je vis mal.
    Il dégrafa sa ceinture, la jeta sur le manteau qu’il avait posé sur l’unique chaise.
    — À deux, reprit-il, en tournant le dos à Anna.
    Il repoussait sa casquette sur ses yeux et quand il fit face à nouveau au lit, la visière masquait tout le haut du visage et le regard.
    — Tu te caches, murmura Anna.
    Mais elle parlait si bas qu’il parut ne pas entendre.
    — À deux on vit peut-être mieux, dit-il.
    Anna se redressa, s’avança à genoux vers le bout du lit, prit la casquette de Machkine et découvrit ses yeux.
    Anna et Machkine, Boris Spasskaief ne les avait vus qu’une seule fois ensemble, le 1 er   mai 1923, quand le cortège s’était immobilisé au coin de la Fontanka et de la perspective Nevski. Boris suivant depuis l’usine Ogirov le groupe des métallurgistes. Il marchait sur le trottoir, derrière eux, ironique mais attentif, observant sa fille qui, assise sur le camion, s’appuyait parfois au piano, lasse semblait-il de jouer l’Internationale ou la Marseillaise. Il avait aperçu Machkine qui, au moment où s’arrêtait le défilé, sautait sur le camion, embrassait Anna, la tenait aux épaules. Boris Spasskaief s’était alors éloigné, traversant avec peine le pont Anichkof encombré de badauds.
    Puis, dans les rues vides, le cortège comme une traînée noire au loin, Boris avait marché très vite, sûr qu’il leur fallait partir, Evguenia et lui. Il avait commencé dès ce soir-là à organiser leur fuite, vendant les quelques objets précieux qui leur restaient, évitant de répondre aux questions d’Evguenia. Les derniers jours quand déjà il savait qu’ils passeraient par la Finlande, Boris avait entraîné Evguenia dans le jardin, loin de la maison, afin que les occupants des autres pièces – une famille de paysans qu’on avait installée là – n’entendent pas. Boris tenait Evguenia par la main. Elle s’essoufflait à ces quelque pas, l’émotion plus que

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