Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
duquel reste sa pauvre
monture, fourbue et ne pouvant plus faire un pas. Un paysan, qu’il
rencontre par bonheur, le laisse monter sur un de ses chevaux pour
franchir la montagne. Une tempête s’élève ; à chaque instant,
cheval et cavaliers manquent d’être précipités du chemin dans
l’abîme. Le cheval ne pouvant se tenir sur la neige, se couchait à
tout coup, si bien qu’il fallût le traîner pendant sept à huit
cents pas. Démonté une seconde fois, Nissolles, malgré la
difficulté extrême qu’il éprouve à marcher, est obligé de faire la
route à pied. Il traverse clopin-clopant le pays de Gex, endurant
beaucoup de soif, parce que son guide lui fait soigneusement éviter
tous les villages, et il arrive enfin, après tant de hasards et de
fatigues, sur la terre de Genève.
Mlle du Bois, avec deux autres
demoiselles, est arrêtée, à quatre lieues de son point de départ
par une troupe de cavaliers qui se contente de maltraiter et de
dépouiller les fugitives.
Quelque temps après, les passages étant
soigneusement gardés ; elles gagnent un roulier qui consent à
les mettre dans un tonneau emballé de toile. Elles y restent trois
jours, et trois nuits, mais alors qu’elles étaient rendues près de
Hambourg, et n’avaient plus que quinze lieues à faire pour passer
la frontière, le roulier entendant les tambours de la garnison,
croit que les dragons sont à ses trousses ; il dételle un de
ses chevaux et s’enfuit laissant là charrette et chargement. Les
demoiselles se sauvent dans un bois où elles sont prises par les
paysans qui les livrent au gouverneur de Hambourg. Après dix mois
de réclusion dans un couvent, Mlle du Bois traverse le dortoir
des pensionnaires, descend dans la cour par une fenêtre dont elle
lime ou descelle les barreaux. Elle saute dans la cour, de là dans
le jardin, en arrachant le cadenas qui tenait la porte fermée.
S’aidant d’une pièce de toile qu’elle trouve étendue là pour
blanchir, elle descend du haut de la muraille et traverse la
Moselle qui passe au pied, en ayant de l’eau jusqu’au cou. Elle
trouve asile chez des religionnaires, mais comme sa fuite avait été
découverte et qu’on avait promis dix louis à qui la découvrirait,
elle est obligée de changer deux fois de retraite. Elle se déguise
en paysan pour passer les portes de la ville ; ayant une hotte
avec un tonneau dessus, et un panier au bras. Après avoir fait une
lieue à pied, en cet équipage, elle trouve un guide qui la fait
passer pour son valet ; arrêtée à une place frontière, elle
est interrogée par un dragon qui parlait allemand, mais comme elle
parlait assez bien la langue elle se tire d’affaire. Au moment
d’arriver à bon port, elle trouve des archers, qui demandent à son
guide s’il n’a pas entendu parler de la religieuse qui s’est
enfuie, et ordonnent au prétendu valet d’aller faire boire leurs
chevaux, ce qu’il fait, aussitôt de retour, elle monte à cheval et
tous deux, galopant toujours, gagnent Liège. Arrivée là,
Mlle Dubois avoue à son guide, qu’elle est la religieuse que
l’on cherche partout, et celui-ci, tout tremblant, s’écrie que s’il
l’eût su, il ne se serait pas chargé pour mille pistoles de la
conduire.
Jamais on n’avait vu tant de marchands, tant
de veuves de négociants, appelées par leurs affaires à l’étranger,
tant de femmes mariées à des soldats, allant rejoindre leurs
garnisons dans les places frontières. Les gardes s’en étonnaient,
et plus d’une ne put passer qu’après qu’on l’eût vue, tout au moins
quelques instants, couchée dans le même lit que son soi-disant
mari.
Mlle Petit arriva à Genève déguisée en
marmiton, beaucoup d’autre femmes ou filles se travestissaient en
jeunes garçons, en valet, valets, sans craindre, sans soupçonner
même, le terrible danger qu’elles couraient en prenant ces
déguisements. En effet, les femmes qu’on arrêtait habillées en
hommes, étaient traitées comme des coureuses, et, rien que pour
avoir pris ce déguisement, on les envoyait au milieu de prostituées
dans quelque couvent de filles repenties ! C’est ce qui arriva
aux deux jeunes demoiselles de Bergerac, travesties en hommes,
auxquelles Marteilhe eut quelque peine à faire comprendre, tant
elles étaient innocentes, qu’il était de la bienséance de ne pas se
laisser prendre plus longtemps pour de jeunes garçons, afin de ne
pas rester enfermées dans le même cachot que
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