Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
potence, c’était
même souvent un traître, et parfois pis encore. Cependant, on
voyait de jeunes femmes, de jeunes personnes de quinze à seize ans,
se hasarder seules à de telles aventures, se confiant à des
inconnus, maîtres de leur honneur et de leur vie, dans les bois,
les déserts et les montagnes, qu’il fallait traverser la nuit, sans
nul secours à attendre, le cas échéant. Pierre Faisses et ses
compagnons, ayant payé leur guide d’avance, celui-ci les abandonne
en route, et ils sont obligés de revenir sur leurs pas. Il en est
de même du guide qui conduisait Mme de Chambrun et trois
demoiselles de Lyon ; ces pauvres femmes, abandonnées par lui
dans la montagne, errèrent neuf jours au milieu des neiges avant de
pouvoir, gagner la Suisse. Des fugitifs, conduits par leur guide
chez un paysan aux bords de l’Escaut, sont livrés par lui. –
Mme Duguenin part de Paris avec son fils, sa belle-fille
grosse de sept mois, une nièce, deux neveux et la fille de
Sébastien Bourdon, peintre du roi ; près de Mons, toute la
troupe est trahie et livrée par son guide. Mlle Petit, avant
d’arriver à Genève, est maltraitée et dépouillée par son guide.
Campana et un autre huguenot, découvrirent à temps que leur guide
veut les dépouiller et les assassiner, ils le quittent, mais, en
revenant à Lyon, ils sont volés et maltraités par les paysans. Un
guide s’était chargé de conduire de Lyon à Genève une dame et ses
deux filles, il abandonne celles-ci et, emmenant la dame à travers
bois, l’assassine et la dépouille.
C’est quand on approchait de la frontière que
les périls se multipliaient, car de nombreux postes de soldats ou
de paysans, échelonnés de distance en distance, exerçaient sur tous
les passages une active surveillance de jour et de nuit. Pour
stimuler le zèle des soldats, une ordonnance avait décidé que les
hardes qui se trouveraient sur les fugitifs ou à leur suite,
seraient distribuées à ceux qui composeraient le corps de garde qui
les aurait arrêtés.
Parfois cependant les soldats trouvaient
avantage à laisser passer les fugitifs : la sentinelle avancée
d’un corps de garde se trouve en face d’une troupe de huguenots, le
guide qui les conduisait, présente aux soldats un pistolet d’une
main, une bourse de l’autre, et l’invite à choisir entre la mort et
l’argent, le choix est bientôt fait. Un fugitif, porteur de huit
cents écus, est arrêté par un poste de soldats : si vous me
gardez, leur dit-il, j’abjurerai, et il vous faudra rendre les huit
cents écus, si vous me lâchez vous garderez la somme. On le lâche,
il rejoint sa femme qui avait passé par un autre chemin avec une
bonne somme et tous deux franchissent la frontière. Les soldats,
ainsi que le constate une note de la Reynie, laissaient souvent
passer les fugitifs pour l’argent qu’ils leur donnaient. Lors même
que les émigrants pouvaient disposer d’une somme de mille ou de
deux mille livres, ils achetaient le libre passage des
officiers ; ceux-ci donnaient aux femmes des soldats pour
guides, et, mêlant les hommes aux archers de leur escorte, les
conduisaient eux-mêmes hors des frontières.
Pour remédier au mal, dans beaucoup de
passages on remplace les soldats par des paysans, plus difficiles à
corrompre, parce que, dit une note de police,
l’un veut et
l’autre est contraire
. On accorde à ces paysans une prime,
pour chaque huguenot arrêté, qu’on leur permet en outre de voler,
ainsi qu’en témoigne cette lettre de Louvois aux intendants :
« Il n’y a pas d’inconvénients de dissimuler les vols que font
les paysans aux gens de la religion prétendue réformée, qu’ils
trouvent désertant, afin de rendre le passage plus difficile, et
même, Sa Majesté désire qu’on leur promette, outre la dépouille des
gens qu’ils arrêteront, trois pistoles pour chacun de ceux qu’ils
amèneront à la plus prochaine place. »
Mais l’espion de la Reynie est bientôt obligé
de reconnaître que les paysans, s’il leur est plus difficile qu’aux
soldats de se mettre d’accord sur le prix à demander pour laisser
passer les fugitifs, sont cependant plus faciles à corrompre que
ceux-ci, à raison de leur âpreté au gain.
Le littoral n’était pas moins rigoureusement
gardé que les frontières de terre ; les allées et venues des
barques de pêche étaient continuellement surveillées ; nul
navire ne pouvait mettre à la voile, sans avoir été
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