Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
le dos une
hotte de légumes ou une balle de marchandises, ou poussait devant
lui une brouette ; un dernier, portant quelque paquet sous le
bras, amenait des bestiaux à la foire.
Quelques-uns s’ouvraient le passage de vive
force. Un jour, trois cents huguenots de Sedan se réunissent en
secret, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants et menant
avec eux quelques chariots de bagages ; ils forcent un passage
gardé par quelques paysans et se dirigent vers Maëstrich. Sur la
frontière du Piémont, quatre mille émigrants, bien armés, gagnent
Pragèlas, après un combat contre les troupes, dans lequel
M. de Larcy est blessé et perd cent cinquante hommes. Le
gouverneur de Brouage poursuit onze barques parties des rivières de
Sèvres et de Moissac, portant trois mille huguenots, lesquels,
après un combat assez vif, parviennent à s’échapper sauf cinquante
d’entre eux dont la barque sombra. Des huguenots, embarqués à
Royan ; ayant été découverts par les soldats chargés de faire
la visite, lesquels ne voulurent pas se laisser gagner, se jetèrent
sur eux et les désarmèrent. Puis, coupant les câbles des ancres,
ils forcèrent l’équipage à mettre à la voile et emmenèrent en
Hollande avec eux les soldats qui avaient voulu les arrêter.
Louvois était sans pitié pour ceux qui tentaient de sortir de vive
force ; il prescrivait aux soldats de les traiter « comme
des bandits de grands chemins,
d’en pendre une partie sans
forme ni figure de procès
, et de prendre le reste pour être
mis à la chaîne ». Il faisait en même temps enjoindre aux
paysans de faire main basse sur les fugitifs qui auraient
l’insolence de se défendre, et ceux-ci n’y manquaient pas ;
c’est ainsi qu’ils blessèrent, de la Fontenelle et tuèrent d’un
coup de fusil Quista, qui voulaient leur échapper en fuyant avec
leurs femmes et leurs enfants.
Le maire de Grossieux et son fils, âgé de
quinze ou seize ans, ayant résisté aux paysans, furent pris et
pendus. Un gentilhomme, d’Hélis, pris après résistance, eut la tête
tranchée. Quant à M. de la Baume, autre gentilhomme du
Dauphiné, pour le punir de la vigoureuse défense qu’il avait
opposée aux soldats, on le pendit, sans vouloir tenir compte de sa
qualité de noble ; de Bostaquet, gentilhomme de Normandie, fut
moins malheureux, surpris par les soldats, sur la plage, au moment
où il allait s’embarquer avec toute sa famille et blessé dans le
combat, il put s’enfuir. Caché par des catholiques, il put gagner
plus tard l’Angleterre, et bien des années après faire venir près
de lui ce qui restait de sa famille.
Sur les frontières de mer comme sur celles de
terre, les émigrants riches pouvaient souvent acheter leur libre
passage de ceux-là même qui avaient mission de les empêcher de
sortir du royaume. Des familles de fugitifs payèrent jusqu’à huit
et dix mille livres à des capitaines de croiseurs qui, moyennant
ces grosses primes, les menèrent eux-mêmes à l’étranger ; les
préposés à la garde des côtes vendaient aussi à haut prix leur
connivence, et le sénéchal de Paimbœuf fut poursuivi et condamné
comme convaincu d’avoir pris de l’argent de quantité de huguenots,
pour les laisser sortir. Quant aux préposés à la visite des
navires, ils se laissaient
boucher l’œil.
Mais il ne fallait pas se fier outre mesure à
ces malhonnêtes gens, toujours prêts à tirer deux moutures du même
sac, en arrêtant les fugitifs auxquels ils avaient d’abord vendu à
beaux deniers comptants la faculté de libre sortie. Anne de
Chauffepié et ses compagnons furent victimes de cette mauvaise foi
des préposés à la visite : « Au moment où la barque dans
laquelle nous étions montés se dirigeait vers le navire anglais qui
devait nous emmener, nous fûmes, raconte Anne de Chauffepié,
abordés vers deux heures de l’après-midi, par un garde de la
patache de Rhé qui, après plusieurs menaces de nous prendre tous,
composa avec nous, promettant de nous laisser sauver, pourvu que
nous lui donnassions cent pistoles, qui lui furent délivrées dans
le même moment que le marché fut conclu. Sur les cinq heures du
soir, la barque joignit le bateau anglais ; à peine y
étions-nous, que la patache, à la vue de qui cela s’était fait,
nous aborda, et les officiers, s’étant promptement rendus maîtres
du vaisseau anglais, qui avait voulu faire une résistance inutile,
firent passer le capitaine et tous
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