Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
leurs compagnons de
captivité. Quelques jours plus tard, les juges trouvèrent qu’il
était
de la bienséance
d’envoyer ces innocentes aux
repenties
de Paris.
D’autres se cachaient de leur mieux pour
passer la frontière sans qu’on les aperçût.
Mlle de Suzanne fut prise dans un des tonneaux composant
le chargement d’une charrette. Trois demoiselles, cachées sous une
charretée de foin, furent plus heureuses, mais elles eurent à subir
des transes mortelles, pendant que les cavaliers qui avaient failli
les arrêter quelques heures plus tôt, discutaient avec le
conducteur de la charrette à qui ils voulaient persuader de revenir
vendre son foin en France, au lieu d’aller le porter à l’étranger.
Une femme passa heureusement,
empaquetée
dans une charge
de verges de fer, avec laquelle elle fut mise dans la balance et
pesée à la douane ; et elle dut rester dans cette incommode
cachette jusqu’à ce que le charretier osât la désempaqueter, à plus
de six lieues de la frontière.
Quant aux hommes, ils se déguisaient en
marchands, en paysans, en valets, en courriers, en soldats ou en
officiers allant rejoindre leur régiment tenant garnison dans
quelque place frontière.
Le vénérable pasteur d’Orange, Chambrun, qui
venait de se faire opérer de la pierre, à Lyon, se fait attacher
dans une chaise, et, suivi de quatre valets, il se donne si bien,
dit-il, l’apparence d’un haut officier de guerre déterminé, que les
postes militaires de la France et de la Savoie lui rendent les
honneurs militaires quand il passe, et le laissent gagner Genève
sans encombre. Bien qu’ayant avec lui deux jeunes enfants, le baron
de Neuville parvient à se faire passer pour un officier allant
rejoindre sa garnison ; quand il y avait quelque danger, il
jetait une couverte de voyage sur les paniers attachés sur le dos
d’un cheval et renfermant, non son bagage, mais ses enfants qu’il y
avait cachés. Les quatre jeunes enfants du baron d’Éscury étaient
cachés de même dans des paniers placés sur un cheval mené en bride
par un valet.
La servante catholique qui emmenait les deux
jeunes filles de Mme Cognard avait caché ces deux enfants dans
des paniers, sous des légumes, qu’elle était censée aller vendre à
un marché voisin de la frontière.
Le fils du ministre Maurice que des officiers,
amis de son père, emmenaient déguisé en soldat avec leur bataillon
qu’ils conduisaient en Alsace, est reconnu dans une halte. Il
s’enfuit à la hâte, et, après avoir erré quelque temps, au cœur de
l’hiver, dans les montagnes du Jura, il arrive en Suisse exténué de
fatigue et
dans un état à faire pitié.
Chabanon, fils d’un autre ministre, à l’âge de
treize ans, entreprit de rejoindre son père passé en Suisse. Parti
seul, à pied, il fut pris de la petite vérole ; quand son mal
le pressait trop, il se couchait au pied d’un arbre, puis, l’accès
passé, il se remettait courageusement en route, et il ne se
découragea pas jusqu’à ce qu’il eût franchi la frontière. De riches
bourgeois, des gentilshommes, déguisés en mendiants, portaient dans
leurs bras ceux de leurs enfants qui ne pouvaient marcher, et se
faisaient suivre par cinq ou six autres, demi-nus et couverts de
sales haillons, qui allaient de porte en porte demander leur pain.
Ces enfants, dit Élie Benoît, comprenaient si bien l’importance de
leur déguisement et jouaient si bien leur rôle,
qu’on aurait
dit qu’ils étaient nés et nourris dans la gueuserie…
Mon frère et Jacques Laurent, dit Chauguyon,
firent marché avec un guide fort résolu, mangeur de feu comme un
charlatan. Il faisait porter à mon frère une grande boite sur les
épaules, pour faire voir les curiosités de Versailles, et Jacques
Laurent en portait une autre, comme les Savoyards qui crient la
curiosité.
Tel, parvenu à une ville frontière mettait du
beau linge, des souliers bons à marcher sur le marbre ou dans une
salle de parquetage, et, une badine à la main, passait devant les
corps de garde, comme s’il allait dans le voisinage faire une
simple promenade ou quelque visite. Tel autre, son fusil sous le
bras et sifflant son chien, passait la frontière semblant ne songer
qu’à aller chasser dans les champs voisins. D’autres enfin, vêtus
en paysans, paraissaient se rendre au marché le plus prochain
au-delà de la frontière ; celui-ci conduisait une charrette
chargée de foin ou de paille ; celui-là portait sur
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