Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
d’un âge mûr,
sans jeter un cri, ni donner une marque d’impatience. »
Mlle de Robillard fut mise avec ses
cinq jeunes frères et sœurs dans la cache qu’on avait faite sur le
navire qui devait l’emmener. « Cette cache, dit-elle, était si
petite, qu’un homme était dedans pour nous y tirer. Après que nous
y fûmes placés et assis sur le sol,
ne pouvant y être en autre
posture
, on referma la trappe, et on la goudronna comme le
reste du vaisseau pour qu’on n’y pût rien voir. Le lieu était si
bas, que nos têtes touchaient aux planches d’en haut. Nous primes
soin de tenir nos têtes, droit sous les poutres, afin que, quand
les visiteurs, selon leur belle coutume,
larderaient leurs
épées
,
ils ne nous perçassent pas le
crâne
. »
Le danger n’était pas chimérique ; on
conte à ce sujet, qu’un pasteur, enfermé dans une de ces caches,
fut blessé par l’épée d’un des soldats qui lardaient le navire où
il se trouvait ; non seulement il ne poussa pas un cri, mais
il eut la présence d’esprit d’essuyer la lame de l’épée qui l’avait
blessé, à mesure que le soldat la retirait à lui, pour que sa
présence ne fût pas décelée par son sang.
Mlle de Robillard et ses cinq jeunes frères et sœurs
étaient depuis
dix heures
dans l’étroite cache où on les
avait entassés, quand on put enfin ouvrir la cache pour leur
permettre de respirer. « Il était temps ; dit-elle, car
nous étouffions dans ce trou et croyions y aller rendre l’âme aussi
bien que tout ce que nous avions dans le corps, qui en sortait de
tous les côtés. On nous donna de l’air, et en sortîmes quelques
heures après, plus morts que vifs ; notez pourtant que, malgré
ce mauvais état,
toute ma jeunesse ne jeta ni cris ni
plaintes.
»
Un cri échappé à un fugitif eût perdu tous les
réformés que pouvait contenir la cache d’un navire. Baudoin de la
Bouchardière enfermé,
lui douzième
, dans une de ces
caches, raconte que pendant la visite du navire qui dura trois
quarts d’heure, son jeune enfant, qui n’avait que trois ans, vint à
vomir. « Sa mère, dit-il, lui mit la main sur la bouche, et
Dieu voulut qu’il ne poussât pas un cri
». Sans cette
heureuse fortune, toute la chambrée eût été découverte par les
visiteurs.
Quand on avait échappé à la visite ou aux
visites (le navire sur lequel monta Fontaine, avait été visité deux
fois ; celui sur lequel était cachée
Mlle de Robillard, eut à subir trois visites), on n’était
pas encore hors de danger.
Parfois l’inexpérience des capitaines menait
le navire à sa perte ; ainsi Baudoin de la Bouchardière et ses
compagnons vinrent faire naufrage sur les côtes de la Hollande,
après, dit-ils avoir fait voile toute une nuit
sans savoir où
nous étions.
Le pilote du navire qui emmenait Olry en
Angleterre faillit aborder, sans le vouloir, dans un port de la
côte de France, et plusieurs navires, chargés de réfugiés,
allèrent, grâce à l’ignorance des capitaines, échouer sur les côtes
d’Espagne.
Dans ce pays de l’inquisition, les huguenots
trouvèrent plus d’humanité qu’ils n’en auraient rencontré dans leur
propre patrie. Suivant le conseil des juges, qui se firent, il est
vrai, payer leur complaisance, ils se firent réclamer par les
consuls des puissances protestantes auxquels ils furent remis.
Les fugitifs avaient à redouter, non seulement
l’inexpérience, mais encore l’improbité des capitaines qui se
livraient au dangereux métier du transport des émigrants. Le
capitaine avec lequel Mlle de Robillard avait traité,
devait la débarquer à Tapson, près Exeter ; il la dépose, à la
nuit, sur une plage déserte, à vingt lieues de cette petite ville,
avec ses jeunes frères et sœurs.
« Le septième jour, dit
Mlle de Robillard,
à neuf heures du soir
, nous
vîmes aborder le vaisseau. On nous fit descendre tous avec le peu
de nippes que nous avions sur ce rivage ou petit port,
il ne
nous parut ni ville ni maison.
« La peur nous prit de nous voir dans ce
lieu qui nous parut un désert, et mon capitaine de venir à moi d’un
air fort résolu me dire : de l’argent ! les cinq cents
livres que vous me devez encore ! (il en avait reçu cinq cents
au départ). Je lui répondis que sa demande était injuste, puisqu’il
ne nous menait pas où il avait promis de nous laisser, à Tapson. Il
fallut néanmoins payer, après quoi il mit à la voile et nous
restâmes
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