Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
dans ce lieu qui se nommait Falcombe, à vingt lieues de
Tapson… »
Les lamentations de ces six enfants abandonnés
(Mlle de Robillard, l’aînée, n’avait que dix-sept ans)
attirèrent quelques enfants qui amenèrent un ministre. Grâce à
quelques mots de latin que Mlle de Robillard avait appris
avec ses frères, elle put se faire comprendre, et en montrant
quatre louis d’or composant toute sa fortune, elle réussit à se
faire donner une chaloupe qui la conduisit à Tapson avec toute sa
jeunesse. C’est ainsi, qu’elle fut tirée du mauvais pas où l’avait
mise son capitaine.
Cet
honnête homme
s’était pourtant
laissé apitoyer au départ, et, bien que payé seulement pour le
transport de cinq personnes, il avait consenti à prendre,
par-dessus le marché, la plus jeune sœur de
Mlle de Robillard, âgée seulement de deux ans. Un autre
capitaine, plus pitoyable, avait consenti à prendre gratis sur son
navire, pour les emmener en Angleterre, une pauvre veuve et ses
quatre enfants. Cette pauvre veuve ne possédait que quinze francs
pour tout avoir, et son bagage, ainsi que le constate le
procès-verbal de saisie, ne consistait qu’en une couette et une
méchante caisse contenant de menues hardes pour ses enfants.
Ceux qui s’adressaient à des capitaines
catholiques, anglais ou irlandais, dit Élie Benoît, étaient trahis,
et perdaient à la fois leur argent et leur liberté. Beaucoup
dépouillaient leurs passagers. Baudoin de la Bouchardière fait
naufrage sur les côtes de la Hollande, le maître du navire et les
matelots sautent dans la chaloupe avec toutes les hardes des
passagers qu’ils avaient volées. Les fugitifs restent abandonnés
pendant quatre mortelles heures sur le navire échoué, et à chaque
instant sur le point de sombrer sous l’effort des vagues ; ils
sont enfin tirés d’affaire par des matelots hollandais qui viennent
à leur secours.
On n’a jamais eu de nouvelles, dit Legendre,
de Simon le Platrier, orfèvre, qui s’était embarqué avec sa femme
et sa fille aînée, « ou ils seront péri sur la mer, ou le
maître du vaisseau dans lequel ils s’étaient embarqués, leur aura
coupé la gorge et se sera retiré dans quelque île du nouveau monde.
Ce ne serait pas le seul qui aurait fait de semblables
coups
».
En 1689, le présidial de Caen condamnait à la
roue le nommé Reigle, convaincu d’avoir passé des religionnaires à
Jersey et d’en avoir volé un,
après l’avoir étranglé
. En
1697, le même présidial condamnait au même supplice Goupil, maître
de bateau et Tuboe, son matelot, convaincus d’avoir fait périr
plusieurs de leurs passagers, entre autres cinq religionnaires et
un bourgeois catholique de Caen. Ces misérables conduisaient leur
bateau entre les deux îles de Saint-Marcouf, dans un endroit où la
mer, en se retirant, laissait le sable à sec. Ils faisaient
descendre, sous un motif spécieux, les passagers à fond de cale,
fermaient l’écoutille, pratiquaient une ouverture au bateau, et
s’éloignaient, laissant la haute mer, dont le niveau dépassait le
dessus du pont, remplir leur office d’assassins.
Fontaine, réfugié en Angleterre, avait donné
mission à un capitaine anglais de prendre pour lui un chargement de
sel en France. Au moment où ce capitaine allait repartir pour
l’Angleterre, après avoir pris ce chargement, quelques huguenots
qui avaient pu, grâce à une conversion simulée, trouver le temps et
le moyen de transformer tous leurs biens en argent comptant,
s’adressèrent à lui pour les transporter en Angleterre.
Porteurs de sommes considérables, ces
malheureux crurent que leurs valeurs seraient plus en sûreté entre
les mains du capitaine qu’entre les leurs. « La vue d’un tel
trésor, dit Fontaine, fut pour ce capitaine une tentation à
laquelle il ne sut pas résister et il forma la résolution de se
l’approprier. – Sous prétexte que le vent était contraire, il
persuada les passagers qu’il fallait mettre le vaisseau à l’abri
dans quelque port. Comme ils auraient couru de grands dangers dans
un port français, il leur dit qu’il fallait gagner la côte
d’Espagne. Il naviguait donc entre Bilbao et Saint-Sébastien,
marchant à pleines voiles, lorsque, voyant que le vent et la marée
favorisaient son criminel dessein, il lança le vaisseau à la côte
et le brisa entièrement…
Le capitaine et ses hommes sautèrent dans la
chaloupe avec le trésor et laissèrent les passagers
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