Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
le
pilote, nous le vîmes jeter l’ancre à la pointe septentrionale de
l’île d’Oléron, après quoi, il descendit les visiteurs et le
pilote, et reprit son chemin en faisant voile de notre côté. Quelle
joie nous éprouvâmes à cette vue !
« Hélas ! cette joie fut de bien
courte durée ! Nous commencions à peine de nous y abandonner,
qu’une des frégates du roi, constamment occupées à surveiller les
côtes pour empêcher les protestants de quitter le royaume, se
rapprocha du lieu où nous nous trouvions. La frégate jeta l’ancre,
ordonna au vaisseau anglais d’en faire autant, l’aborda et envoya
des gens en fouiller les coins et recoins… quelle bénédiction qu’à
ce moment nous ne fussions pas encore sur le vaisseau !
Supposez que la frégate fût arrivée une heure plus tard, nous
étions tous perdus… La visite terminée, le capitaine anglais reçut
l’ordre de mettre immédiatement à la voile ; nous éprouvâmes
l’amère douleur de le voir partir en nous laissant derrière
lui.
« Il ne put même pas nous voir, car la
frégate se trouvait entre lui et notre bateau. Quelle déplorable
situation que la nôtre à ce moment-là. Nous étions dans le
désespoir et nous ne savions que faire. À prendre le parti de ne
pas bouger de l’endroit où nous étions, nous devions à coup sûr
exciter les soupçons de la frégate et nous exposer à nous faire
visiter par elle. Si nous tentions de retourner à la Tremblade,
pour une chance de succès, nous en courions cent de contraires.
Remarquant que le vent était propice pour La Rochelle et contraire
pour la Tremblade, je dis au batelier : couvrez-nous tous dans
le fond du bateau avec une vieille toile, et allez droit à la
frégate, en feignant de vous rendre à la Tremblade. Vous pouvez,
votre fils et vous, en contrefaisant les ivrognes et en roulant
dans le bateau, vous arranger de manière à laisser tomber la voile
trois fois et (à l’aide de ce signe convenu), nous faire
reconnaître du capitaine anglais ».
Tout s’exécute suivant les instructions de
Fontaine, et les officiers de la frégate voyant deux hommes ivres
semblant courir à leur perte, crient aux deux pécheurs, de ne pas
s’obstiner à vouloir gagner la Tremblade et de faire voile au
contraire pour La Rochelle.
Nous changeâmes immédiatement de direction,
continue Fontaine, le bateau vira vent arrière et nous dîmes adieu
à la frégate du fond de nos cœurs et aussi du fond de notre bateau
car nous y restâmes soigneusement couverts sans oser encore montrer
le bout du nez. Cependant le navire anglais avait répondu à notre
signal, tout en commençant à gagner la haute mer, et nous n’osions
pas nous mettre à sa suite, par crainte de la frégate qui était
encore à l’ancre non loin de nous ; nous attendîmes que le
jour tombât. Alors le batelier fut d’avis qu’il fallait tenter
l’aventure avant qu’il fit entièrement obscur, pour ne pas nous
exposer à être engloutis par les vagues ; nous changeâmes donc
encore une fois de direction, et la manœuvre était à peine
terminée, que nous vîmes la frégate lever l’ancre et mettre à la
voile. Notre première pensée fut naturellement qu’elle avait
remarqué notre mouvement et qu’elle se préparait à nous poursuivre.
Sur quoi, la mort dans l’âme, nous mîmes de nouveau le cap sur la
Rochelle, mais notre anxiété fut de courte durée ; au bout de
quelques minutes nous pûmes voir distinctement la frégate voguer
dans la direction de Rochefort, et nous, de notre côté, nous
virâmes encore de bord et nous nous dirigeâmes vers le vaisseau
anglais qui ralentit sa marche pour nous permettre de l’atteindre,
nous le rejoignîmes en effet, et nous montâmes à son bord, sans
avoir encore perdu de vue la frégate. »
Le plus souvent, pour éviter des difficultés
semblables à celles que Fontaine avait rencontrées pour parvenir à
s’embarquer, les émigrants montaient sur les navires qui devaient
les emmener, dans le port même ; ils s’y rendaient la nuit et
s’y tenaient cachés. – Les uns se cachaient sous des balles de
marchandises, ou sous des monceaux de charbon, d’autres se
mettaient dans des tonneaux vides, placés au milieu de fûts remplis
de vin, d’eau-de-vie ou de blé. Pierre de Bury, qui fut condamné
pour avoir embarqué des huguenots à Saint-Nazaire et à Saint-Malo,
mettait ses passagers, dit le jugement,
dans de doubles fûts en
guise de vin ou de
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