Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
assurer le succès définitif de cette grande
cause. C’est pourquoi nous disons ici quelques mots de cette guerre
du désespoir, provoquée par la longue et cruelle persécution qui
suivit la désolation de 1683.
Deux fois dans les provinces du midi, en 1688
et en 1700, tout un peuple tombe malade, perd l’esprit à force
d’être persécuté et torturé et c’est par milliers que hommes,
femmes, filles et enfants se mettent à prophétiser. Cette maladie
extatique, éteinte ailleurs, se perpétue dans les Cévennes, et
depuis Esprit Séguier qui, en 1702, donne le signal de
l’insurrection, jusqu’à Rolland et Cavalier même, les chefs
camisards furent presque tous
prophètes
. S’il fallait
livrer un combat ou tenter une expédition, on ne le faisait
qu’après avoir consulté les inspirés, interprètes de l’Esprit Saint
Bombonnoux, un des derniers chefs camisards, prévient en vain ses
gens du danger qu’ils courent : «
comme je n’étais
pas prophète
, dit-il, on ne fit aucune attention à mes
pressentiments. »
La principale cause qui amena les Cévenols à
se révolter, dit Court, ce fut la conduite cruelle et barbare que
les ecclésiastiques, évêques, grands vicaires, curés, les moines
eux-mêmes tenaient à l’égard des protestants.
Le plus cruel des tyrans locaux qui
s’ingéniaient à tourmenter les huguenots, c’était l’archiprêtre du
Chayla qui, bourreau, et satyre tout à la fois, torturait les
hommes, à la vue de leurs femmes et de leurs filles, pour les
obliger à se livrer à lui. Contre ses prisonniers enfermés dans les
caves de son château de Pont-de-Montvert, il épuisait tous les
raffinements de cette science de torture dans laquelle, dit Court
de Gebelin, les prêtres n’ont point connu de rivaux et ne furent
jamais dépassés. Il leur arrachait un à un les poils de la barbe,
des sourcils, des cils ; il leur liait les deux mains avec des
cordes de coton imbibées d’huile ou de graisse, qu’il faisait
brûler lentement jusqu’à ce que les chairs fussent rôties jusqu’aux
os. Il leur mettait des charbons ardents dans les mains qu’il
fermait et comprimait violemment avec les siennes. Il plaçait ces
malheureux dans les ceps (nom que l’on donnait à deux pièces de
bois entre lesquelles il engageait leurs pieds), de telle sorte
qu’ils ne pouvaient se tenir ni assis, ni debout sans souffrir les
plus cruels tourments.
Dans la nuit du 24 au 25 juillet 1702, trois
prophètes, Esprit Séguier, Conduc et Mazel se donnent rendez-vous
dans la montagne, une cinquantaine de huguenots armés de fusils, de
sabres, de faux ou de bâtons viennent se joindre à eux. « Dieu
le veut ! s’écrie le prophète Séguier, il nous commande de
délivrer nos frères et nos sœurs, et d’exterminer cet archiprêtre
de Satan. »
La bande des conjurés entre dans le bourg de
Pont-de-Montvert en chantant le psaume de combat, ils prennent
d’assaut la demeure de du Chayla, enfoncent la porte avec une
poutre dont ils font un bélier, tuent ou dispersent les gardes de
du Chayla, et mettent le feu au château.
Ils se précipitent vers les cachots et
trouvent les malheureux prisonniers à moitié morts, les pieds
endoloris pris dans les ceps, n’ayant même plus la force de prendre
la liberté qu’ils viennent leur apporter. Leur fureur redouble, ils
découvrent du Chayla, qui, en voulant s’enfuir par une fenêtre, est
tombé et s’est brisé la jambe. Chacun défile à son tour devant
l’archiprêtre et le frappe en disant : « Voici pour mon
frère envoyé aux galères, pour ma mère, pour ma sœur enfermées au
couvent, pour mon père que tu as fait périr sur la roue. »
Quand on releva le cadavre de du Chayla, il avait cinquante-deux
blessures faites par chacun de ceux qui avaient une victime à
venger. C’est à la suite de cette sanglante exécution que commença
la terrible guerre des Cévennes, guerre du désespoir, entre
quelques milliers de montagnards guidés par leurs prophètes, et les
armées de Louis XIV.
Pour se rendre compte de ce qu’étaient ces
révoltés, se croyant inspirés de l’Esprit-Saint ne craignant ni la
mort sur le champ de bataille, ni les souffrances du supplice sur
la roue ou le bûcher, il suffit de se rappeler la fin du prophète
Esprit Séguier :
« Comment t’attends-tu à être
traité ? lui demande le capitaine Poul qui l’a fait
prisonnier.
– Comme je t’aurais traité moi-même, si je
t’avais pris,
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