Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
répond le prisonnier enchaîné.
– Pourquoi t’appelle-t-on Esprit
Séguier ? lui demandent les juges.
– Parce que l’esprit de Dieu est avec moi.
– Ton domicile ?
– Au désert, et bientôt au ciel.
– Demande pardon au roi de ta
révolte !
– Mes compagnons et moi n’avons d’autre roi
que l’Éternel.
– N’éprouves-tu pas de remords de tes
crimes ?
– Mon âme est un jardin plein d’ombrage et de
fontaines, et je n’ai point commis de crimes. »
Condamné à avoir le poing coupé et à être
brûlé vif, il meurt avec le courage d’un martyr, et, monté sur le
bûcher, il revendiquait encore l’honneur d’avoir porté le premier
coup à l’archiprêtre du Chayla.
Pour venir à bout de tels hommes, il fallut
quatre maréchaux de France, de véritables armées ; et de
nouveaux croisés, les
cadets de la croix
, auxquels une
bulle du pape Clément XI promettait les indulgences accordées
autrefois aux massacreurs des Albigeois. Voici quelques exploits de
ces saints
croisés
: « Dans le seul lieu de
Brenoux, dit Court, ils massacrent cinquante-deux personnes. Il y
avait parmi elles plusieurs femmes enceintes ; ils les
éventrent et portent en procession, à la pointe de leurs
baïonnettes, leurs enfants arrachés de leurs entrailles fumantes…
Entre Bargenc et Bagnols, les cadets de la croix s’emparent de
trois jeunes filles, leur font subir le dernier outrage, leur
emplissent le corps de poudre, les bourrent comme une pièce
d’artillerie, y mettent le feu et les font éclater. »
L’armée régulière, de son côté, traitait les
Cévenols comme des loups enragés ; après un combat, le
brigadier Poul envoyait à M. de Broglie
deux
corbeilles de têtes
pour être exposées sur les murs d’une
forteresse. Un autre jour, ses soldats victorieux reviennent avec
des chapelets d’oreilles de Cévenols. Le maréchal de camp Julien
faisait passer au fil de l’épée des villages entiers, et c’est lui
qui avait trouvé ce barbare moyen de ne jamais être gêné par le
trop grand nombre des prisonniers qu’il avait faits :
« Comme dans nos marches d’exil, à la moindre alarme, nous
aurions été embarrassés de nos prisonniers,
je pris la peine de
leur casser la tête
à mesure qu’on me les conduisait,
le
roi épargne ainsi les frais de justice et
d’exécution
. »
Lalande, ayant surpris une trentaine de
camisards blessés dans la caverne où on les avait cachés, les fait
tous tuer par ses dragons. C’était l’habitude des soldats d’en agir
ainsi. Bonbonnoux conte, qu’ayant été surpris avec Cavalier, sa
troupe avait été mise en fuite prés d’une caverne, où nous avions,
dit-il, une partie de nos blessés. « Nous délogeâmes,
poursuit-il ; nos blessés qui ne pouvaient point nous suivre,
demeurèrent dans la caverne et furent bientôt découvert par
des
médecins qui pansèrent leurs plaies d’étrange manière
, ils les
firent tous périr. »
Faut-il s’étonner de ce que les camisards,
appliquant la théorie biblique : œil pour œil, dent pour dent,
rendaient meurtre pour meurtre, incendie pour incendie, si bien que
l’évêque de Nîmes, Fléchier, écrivait : « J’ai vu de mes
fenêtres brûler nos maisons de campagne impunément, il ne se passe
pas de jour que je n’apprenne à mon réveil quelque malheur arrivé
la nuit. Plus de quatre mille catholiques ont été égorgés à la
campagne, quatre-vingts prêtres massacrés, près de deux cents
églises brûlées. »
Montrevel fait réduire en cendres quatre cent
soixante-six villages, les maisons isolées, les granges, les
métairies, on détruit les fours ;
dans les huit jours,
tous
les habitants de la campagne ; vingt mille personnes
environ, doivent être rendus dans les villes murées avec leurs
bestiaux et tout ce qu’ils possèdent, et il leur est interdit, sous
peine de mort, de sortir des lieux où ils sont internés. Pour que
ces internés ne puissent venir en aide aux camisards, on les
rationnait si parcimonieusement que parfois ils n’avaient plus de
quoi vivre. Les internés de Saint-André, mourant de faim, se
décident un jour à sortir dans la campagne et rapportent quelques
aliments. Pendant la nuit un détachement de troupes arrive pour les
châtier. On arrache les malheureux de leurs lits, on les entasse
dans l’église d’où on les fait sortir un par un pour les massacrer.
L’exécution finie, on jeta tout, morts et mourants, hommes,
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