Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
ainsi cette situation :
« ces infortunés également rejetés de nos tribunaux sous un
nom et repoussés de nos Églises sous un autre nom, méconnus dans le
même temps comme calvinistes et comme convertis, dans une entière
impuissance d’obéir à des lois qui se détruisent l’une l’autre, et,
par là destitués du moyen de faire admettre, ou devant un prêtre,
ou devant un juge les témoignages de leurs naissances, de leurs
mariages et de leurs sépultures, se sont vus, en quelque sorte,
retranchés de la race humaine
. »
Cette situation intolérable avait pour causes,
non seulement les dispositions des édits, basés sur cette fiction
légale et mensongère qu’il n’y avait plus de protestants en France,
mais encore l’obstination du clergé à vouloir faire de son
privilège de dresser les actes de l’état civil, un moyen de
conversion ou de reconversion, pour les protestants et pour les
nouveaux convertis.
En ce qui concerne les décès, la loi avait
bien prescrit les formalités à remplir pour leur constatation
devant le juge le plus voisin, mais par suite du terrible édit de
1713 déclarant relaps, tout huguenot, qui,
ayant abjuré ou
non
, refuserait les sacrements à son lit de mort, les
protestants écartaient soigneusement tous les témoins du chevet de
leurs parents gravement malades. Et, une fois que ceux-ci étaient
morts, ils négligeaient de remplir les formalités prescrites pour
ne pas éveiller l’attention sur les circonstances d’une mort de
nature à entraîner un procès à la mémoire du défunt et la
confiscation de ses biens.
« Les parents des morts, dit Rulhières,
les enterraient
en secret
, la nuit, dans leurs propres
maisons, sans faire inscrire les décès sur aucun registre public,
quels que fussent les dangers auxquels ils s’exposaient par ces
sépultures clandestines. Ils ne tardaient pas, en effet, à être
poursuivis par cette bizarre espèce d’inquisiteurs, par ces
régisseurs et ces fermiers des biens des fugitifs, non moins avides
de la dépouille des morts que de celle des
fugitifs
, et
qui firent saisir les biens de ceux qui avaient ainsi disparu,
prétendant qu’ils avaient fui, et, sous ce prétexte, s’emparant des
successions que n’osait leur disputer une famille embarrassée de sa
propre défense. »
Si, au contraire, le décès d’un protestant
avait été constaté dans les formes prescrites par la loi, la femme
que le défunt avait épousée hors l’Église, et les enfants nés de
son mariage, se voyaient contester son héritage par d’avides
collatéraux ; et certains parlements donnaient raison à ces
spoliateurs, en déclarant concubine l’épouse, et bâtards les
enfants légitimes.
Quant aux naissances, elles devaient être
constatées par les curés dans les actes baptistaires, l’édit de
révocation ayant décrété que tout enfant qui naîtrait de parents
réformés devrait être porté à l’église pour y être baptisé.
Mais les huguenots furent détournés de faire
porter leurs enfants à l’église, par l’entêtement que mirent les
curés à vouloir qualifier de
bâtards
, les enfants nés de
mariages contractés soit au désert, soit à l’étranger. Les
huguenots se décidèrent donc à faire baptiser leurs enfants par les
pasteurs allant d’assemblée en assemblée ; et ceux-ci avaient
l’insolence
, dit un intendant, de purifier les pères et
mères des, enfants qui avaient été baptisés par un prêtre
catholique. Pour obliger les parents à faire rebaptiser par le curé
les enfants baptisés au désert, on eut recours à l’argument
persuasif des logements militaires ; mais on y renonça pour y
substituer le régime des amendes, après l’incident, que conte ainsi
Rabaut : « Les protestants de la Gardonneuque, voyant les
cavaliers de la maréchaussée à Lédignan pour contraindre à la
rebaptisation, crurent qu’il fallait se mettre en bonne posture et
faire trembler, tant les cavaliers que les prêtres. »
« En conséquence, ils donnèrent l’alarme
aux cavaliers, et tirèrent quelques coups de fusil aux prêtres de
Ners, de Guillion et de Languon. Le premier et le second furent
dangereusement blessés, et en sont morts depuis ; le dernier
n’eut qu’une légère égratignure. Les cavaliers appréhendèrent le
même sort, décampèrent par l’ordre de M. l’intendant, et, en
vertu du même ordre, restituèrent l’argent qu’ils avaient déjà
retiré des protestants. »
La
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