Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
attaquent les mariages au désert par la voie
criminelle, ils condamnent les mariés, les hommes
aux
galères
, les femmes à la prison et font
brûler
par la main du bourreau
les certificats de mariage
délivrés par les pasteurs et produits par ces mariés. Mais cette
inique jurisprudence ne put se maintenir, en présence du nombre
toujours croissant de ceux qui contrevenaient aux édits en
recourant au ministère des pasteurs ; bientôt, ce fut en vain
que les évêques réclamèrent des mesures de rigueur contre
le
brigandage des mariages au désert
, l’administration fut
obligée de rester sourde à leurs appels. En 1775, on estimait que
les mariages au désert depuis quinze ans s’élevaient au nombre de
plus de cent mille, et le gouverneur du Languedoc déclarait que,
s’il fallait emprisonner tous les mariés au désert, les prisons de
la province ne suffiraient pas pour les contenir.
S’il en était ainsi, c’est que les huguenots
repoussés de l’Église par les exigences du clergé, avaient une
facilité de plus en plus grande de faire bénir leurs unions par les
pasteurs, depuis que les assemblées s’étaient multipliées et
pouvaient se faire presque publiquement. C’est encore, parce que
les synodes et les pasteurs déclaraient que les huguenots ne
pouvaient se marier qu’au désert ou à l’étranger, que toute autre
voie était déshonnête et coupable, quelles que fussent les
conventions faites avec les prêtres catholiques. Censurés durement,
par leurs pasteurs et menacés par eux d’excommunication, ceux qui
avaient fléchi
devant l’idole
, en recevant la bénédiction
nuptiale d’un prêtre catholique, durent faire réhabiliter leurs
mariages suivant le rite calviniste.
Mais les unions, contractées hors de l’Église
catholique, n’étant pas reconnues par la loi, les huguenots ne
pouvaient se présenter devant les tribunaux dans aucune cause où
ils eussent à procéder en qualité de pères, de maris, d’enfants, de
parents, car jamais ils ne pouvaient prouver leur état par la
production de titres légalement valables.
Dans les différents qu’ils avaient entre eux,
ils recouraient souvent à des arbitres ; mais quand ils
avaient affaire à des coreligionnaires de mauvaise foi, ou à des
catholiques les appelant devant les tribunaux, ils ne pouvaient
défendre leurs droits les plus incontestables contre les actions
judiciaires les moins fondées.
Quelques parlements, pour écarter les
malhonnêtes prétentions d’avides collatéraux voulant dépouiller la
femme ou les enfants d’un de leurs parents mariés au désert,
étaient obligés de se baser sur la
possession d’état
de la
veuve ou des orphelins ; mais cet expédient légal mettait sur
le même pied la concubine et l’épouse, le bâtard et l’enfant
légitime.
Les ministres de Louis XVI comprirent qu’il
n’était pas possible de laisser plus longtemps sans état civil,
plus d’un million de Français, la vingtième partie des citoyens de
la France, de les laisser
« privés
,
ainsi que le
disait Rulhières
,
du droit de donner le nom et les
prérogatives d’épouses et d’enfants légitimes à ceux que la loi
naturelle
,
supérieure à toutes les institutions
civiles
,
ne cessaient de reconnaître sous ces deux
titres
. »
En 1787, un édit vint porter remède au
mal ; cet édit se bornait, ainsi que le déclarait son exposé
des motifs, à donner un état civil aux Français ne professant pas
la religion catholique. Pour arriver à ce résultat, l’édit
accordait aux non-catholiques le droit d’option entre le curé et le
juge du lieu pour faire constater sur des registres ad hoc, leurs
décès, leurs naissances et leurs mariages. Quand une déclaration de
mariage avait été faite dans les formes prescrites, soit devant le
curé, soit devant le juge, celui-ci devait déclarer les comparants
unis. Pour tous les mariages contractés hors de l’Église
antérieurement à l’édit
, une déclaration semblable
suffisait pour qu’ils produisissent tous leurs effets civils.
Cet édit réparateur fut cependant vivement
attaqué : au Parlement de Paris ; le conseiller
d’Epréminil, conjurant ses collègues de ne point l’enregistrer,
s’écriait, en leur montrant d’image du Christ :
«
Voulez-vous le crucifier une seconde
fois ? »
Dans un mandement, l’évêque de la Rochelle le
qualifiait ainsi : « Cette loi qui semble
confondre
et associer toutes les religions et toutes
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