Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
convertis, si bien
qu’il ne paraissait pas qu’il eût
fait abjuration
. Quelques jours plus tard, après que le
secrétaire d’État eut consulté Bossuet sur la question, le maréchal
d’Estrées recevait l’ordre suivant, qu’il s’empressait d’exécuter
contre cet
opiniâtre
dont la présence était réputée
dangereuse : « Sa Majesté veut que vous fassiez sortir du
royaume le sieur de Thoraval, en l’envoyant au plus prochain
endroit pour s’embarquer, et sa femme aussi, supposé qu’elle n’ait
point fait l’abjuration. Je crois inutile de vous dire qu’il ne
doit emmener avec lui aucun de ses enfants,
ni disposer de ses
effets
. »
Fénelon, non seulement conseillait d’envoyer
les nouveaux convertis dangereux de la Saintonge dans les provinces
où il n’y avait point de huguenots, de les y envoyer en qualité
d’otages
, pour empêcher la désertion de leurs familles,
mais encore il ajoutait : « Peut-être ne serait-il point
mauvais d’en envoyer quelques-uns dans le Canada,
c’est un pays
avec lequel ils font eux-mêmes le commerce
. » La
plaisante raison pour les transporter en Amérique !
Le secrétaire d’État Seignelai envoie à un
intendant cette lettre du roi : « J’ai vu la liste que
vous m’avez envoyée de ceux de la religion prétendue réformée qui
sont dans l’étendue de votre département, et qui ont, jusqu’à
présent, refusé de faire leur réunion à l’Église catholique, et ne
pouvant souffrir que des gens si opiniâtres dans leur mauvaise
religion demeurent dans mon royaume, je vous écris cette lettre
pour vous dire que mon intention est que vous les fassiez conduire
au plus prochain lieu de la frontière sans qu’ils puissent, sous
quelque prétexte que ce soit,
emporter aucuns meubles ou effets
de quelque nature qu’ils soient
. »
Ces mesures d’expulsion ne portaient que sur
quelques têtes choisies ; il eût fallu, chose impossible,
conduire à la frontière des populations entières pour débarrasser
le royaume de tous
les opiniâtres.
En 1729 encore, le président du parlement de
Grenoble rend cette ordonnance : « Nous avons ordonné
que, dans trois mois, le sieur Jacques Gardy fera abjuration de la
religion prétendue réformée, à compter du jour de la signification
qui lui sera faite du présent, à faute de quoi, ledit délai passé,
il est ordonné au sieur prévôt de la maréchaussée de cette province
de le faire prendre par des archers et conduire hors du royaume sur
la frontière la plus proche, lesquels archers lui feront défense
d’y rentrer sous la peine des galères. »
Quant à ceux qu’on tenait sous les verrous, on
ne se résignait à leur ouvrir les portes des prisons pour les
conduire à la frontière que lorsque l’on avait épuisé tous les
moyens pour provoquer leur abjuration.
La veuve Camin était prisonnière au château de
Saumur depuis de longues années sans qu’on eût pu la faire abjurer.
Pontchartrain écrit au gouverneur : « Le roi est résolu
de la faire sortir du royaume, après qu’on aura essayé de la
convertir. Pour cet effet il faut tenir cette décision
secrète
et mettre tous les moyens possibles en usage pour
l’obliger à s’instruire, en lui faisant entendre que c’est le seul
expédient à mettre fin à ses peines ; et si, dans trois mois,
elle persiste dans son opiniâtreté, on l’enverra hors du
royaume. »
Comme on savait que les prisonniers
préféraient tout, même les galères, à la transportation en
Amérique, on faisait peur jusqu’au bout de l’Amérique, dit Élie
Benoît, aux expulsés, que l’on conduisait aux frontières du
royaume, et cet artifice réussit contre quelques-uns qui perdirent
courage à la veille de leur délivrance… Le marquis de la Musse
était déjà sur un vaisseau étranger, avant qu’il eût appris qu’on
voulait le relâcher ; il n’en sut rien qu’après que celui qui
était chargé de le conduire se fut retiré et que les voiles furent
levées. – « On nous mena dans notre charrette, dit Anne
Chauffepié, à un village nommé Etran, où nos gardes et nous, nous
montâmes sur le vaisseau qui nous attendait pour mettre à la voile,
et
ce fut là seulement
que nos gardes nous dirent qu’on
nous emmenait en Angleterre ou en Hollande, car, jusqu’à ce moment,
ils nous avaient toujours fort assuré
qu’on nous mènerait en
Amérique
. »
Pour en revenir à Blanche de Gamond, la
victime de d’Hérapine, ou la
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