Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
naufrage près de la Martinique ?
« Les femmes, dit-il, étaient fermées à
clef dans leur chambre et, dans le désordre où tout le monde était,
on ne se souvint de leur ouvrir que lorsqu’il ne fut presque plus
temps. Quelqu’un ayant enfin pensé à elles, et s’étant avisé
d’ouvrir la porte de leur chambre, ne pouvant trouver la clef, la
rompit à coups de hache. Quelques-unes en sortirent au milieu des
eaux où elles nageaient déjà ; et on trouva toutes les autres
noyées. Les forçats étaient enchaînés les uns avec les autres, et
sept à sept, de sorte que, ne pouvant rompre les chaînes dont ils
étaient liés, ils jetaient des cris épouvantables pour émouvoir les
entrailles et pour faire venir à leur secours. Ces cris ayant
attiré près d’eux leur comité, il eut pitié d’eux et fit tous ses
efforts pour rompre leurs chaînes. Mais le temps était court, et,
tous voulant être déliés à la fois, après avoir ôté les fers à
quelques-uns, il fut contraint d’abandonner les autres. »
Les matelots mettent les chaloupes à la mer,
quelques-uns seulement des transportés peuvent les suivre dans les
embarcations, si bien que quinze des prisonniers périrent et
que presque toutes
les prisonnières furent noyées.
Ce n’était pas seulement le naufrage
qu’avaient à craindre les transportés, c’étaient encore les
maladies résultant de l’entassement sur les navires et du manque de
soins. Ainsi sur un navire parti de Nantes en 1687 avec cent
soixante transportés, quarante périrent dans la traversée, et sur
deux autres partis de Marseille l’année suivante avec cent
quatre-vingt passagers, quarante périrent en route.
Cette croyance qu’on embarquait les huguenots
pour les noyer était si bien établie, que Convenant, pasteur
d’Orange, à l’occasion de l’émigration protestante de cette
principauté, dit encore en 1703 : « On répétait qu’on ne
leur faisait prendre cette route que pour les embarquer à Nice sur
des vaisseaux qu’on y avait préparés, et pour leur faire le même
traitement qu’on avait fait, il n’y avait que quelques jours, à
tous les habitants d’un village des Cévennes, qu’on avait mis sur
un vaisseau, sous ombre de les transporter dans les îles
d’Amérique, et
qu’on avait fait couler à fond au milieu de la
mer
. »
On avait eu l’idée, tout d’abord, de faire de
la transportation sur une grande échelle ; le marquis de la
Trousse avait cru trouver dans la transportation un moyen de
changer quelques peuples des Cévennes
, et en 1687, il
annonçait être prêt à faire trois
voitures
, d’une centaine
de personnes chacune, pour Marseille, mais il dut se contenter de
faire partir pour les îles d’Amérique ou le Canada,
ceux qui
paraissaient avoir le plus de crédit dans chaque village
. On
renonça bientôt absolument à la transportation des huguenots,
« Sa Majesté, écrivait Louvois en 1689, ayant connu par
expérience que ces gens-là embarrassaient extrêmement les
gouverneurs des îles et que, quelque précaution que l’on prit, ils
s’évadaient et revenaient en France. »
Cette décision se comprend d’autant mieux que
Louvois avait obtenu du roi que la liberté de sortir du royaume fût
momentanément
rendue aux huguenots et aux nouveaux
convertis. Il avait invoqué cet argument « que le naturel des
Français les poussait à vouloir principalement les choses
difficiles et
défendues
, mais qu’ils se refroidissaient
aussitôt qu’on leur donnait la permission de se satisfaire ».
Conformément à son avis, les passages furent un instant ouverts aux
émigrants, mais quand on vit qu’une foule de gens profitaient de
l’occasion pour sortir du royaume, on s’empressa de les refermer et
de remettre en vigueur les édits interdisant l’émigration sous
peine des galères.
En même temps, pour désemplir les prisons trop
peuplées, on avait expulsé du royaume quelques centaines de
huguenots opiniâtres, qu’on avait fait conduire aux frontières de
terre
ou
de
mer
,
en confisquant leurs
biens
, comme s’ils fussent sortis volontairement du royaume.
On expulsa de même quelques
notables qui
n’avaient pas été
emprisonnés, mais donnaient le mauvais exemple de leur attachement
à la foi protestante.
Ainsi, de Thoraval, gentilhomme du Poitou qui,
enfermé à la Bastille, avait abjuré entre les mains de Bossuet,
était dénoncé, six ans plus tard, comme étant le conseil des
nouveaux
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