Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
bœuf. »
Grâce à l’intervention d’un nouveau converti,
riche négociant de Paris, Marteilhe et ses compagnons huguenots
obtinrent d’être délivrés du cruel supplice de dormir assis, le
corps à moitié sur les carreaux, à moitié sur une poutre. Moyennant
un prix débattu avec le gouverneur et pour le paiement duquel ce
négociant se porta caution, nos huguenots obtinrent la faveur
d’être enchaînés par un pied auprès du grillage des croisées.
Marteilhe resta ainsi deux mois ; comme sa chaîne longue d’une
aune, lui permettait de se mettre debout, de s’asseoir ou de se
coucher tout de son long, il dit à ce propos :
J’étais
dans une très heureuse situation
, tant il est vrai que le
bonheur est une chose essentiellement relative !
Cependant tous, favorisés ou non, avaient
hâte, ainsi que le dit Louis de Marolles, de voir arriver l’heure
où le départ de la chaîne leur permettrait de quitter la prison de
la Tournelle. Le moment du départ venu, ces condamnés étaient
enchaînés deux par deux par une lourde chaîne de deux pieds de
long, allant du collier de fer de l’un à celui de l’autre ; il
y avait au milieu de cette chaîne un anneau dans lequel passait la
longue chaîne reliant tous les couples ensemble, et faisant de
trois ou quatre cents galériens un véritable chapelet humain.
Pour chacun, le poids à porter était d’environ
150 livres, en sorte que, de ses mains restées libres, chaque
galérien devait soutenir la chaîne dont la pesanteur eût, sans
cela, entraîné sa chute. On attachait sans pitié à la chaîne des
huguenots vieux, malades ou infirmes. « À une chaîne, dit
Chavannes, où se trouvaient un sourd-muet et un aveugle, on attacha
deux septuagénaires, Chauguyon et Chesnet, lesquels, arrivés à
Marseille, durent être envoyés à l’hôpital où ils moururent
bientôt ; à Bordeaux, on mit à la chaîne un huguenot impotent
depuis trente ans, lequel ne pouvait marcher qu’avec des béquilles,
et qu’il fallut bientôt jeter plus mort que vif dans une charrette.
À Metz un arquebusier, travaillé de la goutte, fut contraint, à
coups de bâton, de marcher à travers la ville et demi lieue au
delà, sa fille, son gendre et un de ses parents, le soutenaient
par-dessous les bras ; une faiblesse le prit et après l’avoir
rançonné le conducteur de la chaîne consentit à le mettre sur une
charrette. Il y passa un quart d’heure puis rendit l’âme, une
demi-heure après ; il en mourut encore trois ou quatre de la
même chaîne. »
Ce n’était qu’après leur avoir fait subir
l’épreuve du nerf de bœuf que le maître de la chaîne consentait à
mettre sur une voiture les galériens se trouvant à l’article de la
mort ; quand un de ces malheureux, roué de coups, se trouvait
dans l’impossibilité absolue de marcher, on les détachait de la
grosse chaîne, et, le traînant comme une bête morte par la chaîne
qu’il avait au cou, on le jetait sur la charrette, laissant ses
jambes nues pendre au dehors ; s’il se plaignait trop fort on
l’accablait encore de coups, parfois jusqu’à ce qu’il passât de vie
à trépas.
Cette inhumanité des conducteurs de la chaîne
s’explique par ce fait qu’il leur était plus profitable de tuer en
route un galérien qui, livré vivant à Marseille ne leur eût
rapporté que vingt écus, que de le voiturer de Paris à Marseille,
ce qui leur eût coûté plus de quarante écus. Ils étaient animés
d’un tel esprit de rapacité que pour mettre dans leur bourse, dit
Élie Benoît, la moitié de ce qu’on leur donnait pour la conduite de
la chaîne, ils ne nourrissaient leur bétail humain qu’avec du pain
grossier et malsain qu’ils ne leur donnaient encore qu’en quantité
insuffisante.
Nous avons déjà vu que dans les prisons et
dans les hôpitaux on trouvait partout cette spéculation
meurtrière
, sur la nourriture des prisonniers et des
malades ; nous retrouverons la même spéculation sur les
galères. Là, les forçats recevaient pour nourriture du pain, de
l’eau et des fèves dures comme des cailloux, sans autre
accommodement qu’un peu d’huile et quelque peu de sel.
« Chacun, dit Marteilhe, reçoit quatre onces de ces fèves
indigestes, lorsqu’elles sont bien partagées et que le distributeur
n’en vole pas. » L’aumônier Bion dit, en outre, que pour le
commis d’équipage chargé de fournir des vivres aux forçats malades,
la plus grosse partie entre
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