Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
les
condamnations ne faisaient pas encore un assez grand nombre de
forçats.
Pour compléter le personnel de la chiourme des
galères, on recourait à
toutes sortes de moyens
.
On mettait à la rame, non seulement tous ceux
qu’on trouvait sur les navires turcs ou algériens qu’on capturait
sur l’Océan et dans la Méditerranée, mais encore les prisonniers de
guerre anglais ou hollandais qu’on faisait sur terre ou sur
mer.
On enlevait des nègres sur la côte d’Afrique
pour en faire des forçats, et, un jour même, le roi fit écrire au
gouverneur du Canada de lui envoyer des Iroquois pour ses galères.
Celui-ci, ayant attiré dans un guet-apens un certain nombre de
chefs iroquois, s’en empara et les envoya en France où ils furent
mis à la rame. Mais il avait, en agissant ainsi, provoqué une
guerre d’extermination telle contre les Français au Canada, que,
pour y mettre fin, il fut obligé de demander qu’on renvoyât dans
leurs tribus les chefs iroquois, et ces forçats trop coûteux pour
la France, furent ramenés dans leur pays.
Mais le principal élément du recrutement des
galériens était, en dehors des condamnations, l’achat d’esclaves
turcs fait aux impériaux, à Venise et à Malte, même à Tanger, ainsi
que le constate cette lettre de Colbert : « Sa Majesté
veut être informée du succès qu’avait eu l’affaire de Tanger, pour
l’achat de cinquante Turcs qui étaient à
vendre
. » On
n’y regardait pas de si près quand on procédait à ces achats
d’esclaves, et parfois on prenait un Polonais pour un Turc.
Seignelai écrit, en effet, en 1688 : « Le roi a accordé
la liberté aux douze Turcs
invalides
qui se sont faits
chrétiens, aux huit forçats étrangers et au nommé Grégorio,
Polonais acheté comme Turc.
»
Il semblait, du reste, tout naturel de traiter
les schismatiques comme des Turcs, et Colbert écrivait :
« Sa Majesté, estimant qu’un des meilleurs moyens d’augmenter
le nombre de ses galères serait de faire acheter à Constantinople
des esclaves russiens (russes ou polonais) qui s’y vendent
ordinairement, veut que l’ambassadeur s’informe des meilleurs
moyens d’en faire venir
un bon nombre
. »
L’intendant des galères tente ainsi de
justifier cet achat de chrétiens que l’on met à la rame comme
esclaves : « Les Russes qui demeurent dans la captivité
des Turcs, deviennent, pour la plupart, des
renégats
, il
vaut donc mieux les acheter pour les chiourmes de la France,
au
moins ils y pourront faire leur salut comme
chrétiens
. »
Le Turc était une marchandise courante valant
de 450 à 500 livres, on comptait environ soixante Turcs sur les
trois cents forçats qui composaient le personnel de chaque galère.
Pour faire sa cour au roi, on lui offrait un ou deux Turcs comme on
lui eût fait cadeau d’une paire de chevaux de prix. Le duc de
Beaufort écrit à Colbert : « J’ai donné pour les galères
du roi, deux grands Turcs dont le vice-roi m’avait fait présent et,
s’il m’était permis, j’y mettrais jusqu’à mes valets. » Moins
généreux, le consul de France à Candie propose à son gouvernement
qui l’accepte
, de lui assurer à perpétuité la commission
de son consulat, en échange de l’engagement qu’il prend de livrer
chaque année, cinquante Turcs à prix réduit (340 livres par tête au
lieu de 500) et d’en donner gratuitement dix.
Quant au duc de Savoie, n’ayant pas de
galères, il vendait ses forçats au roi de France, il lui fit même
cadeau, après l’expédition du pays de Vaud, de
cinq cents
de ses sujets pour les chiourmes de France.
En édictant la peine des galères, contre les
huguenots qui tenteraient de sortir du royaume, Louis XIV avait
assuré le recrutement de sa chiourme, car cette peine, quelque
crainte qu’elle inspirât, ne pouvait empêcher les huguenots de
contrevenir à ses volontés, en tentant de gagner au-delà des
frontières, une terre de liberté de conscience.
Huit mois après l’édit de révocation les
bagnes de Toulon et de Marseille renfermaient déjà
douze cents
religionnaires
, prisons et couvents regorgeaient de huguenots,
hommes, femmes, enfants et vieillards.
La seule geôlière de Tournay, quinze mois
après la révocation, avait déjà eu à loger
plus de sept cents
fugitifs
, hommes ou femmes, pris dans les environs. De tous
les côtés du royaume, dit Élie Benoît, on voyait ces malheureux
marcher à grosses troupes, des protestants
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