Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
promenaient continuellement des surveillants appelés
comités, armés chacun d’un nerf de bœuf dont ils frappaient les
épaules des malheureux qui, à leur gré, ne ramaient pas avec assez
de force. Les galériens passaient leur vie sur leurs bancs. Ils y
mangeaient et ils y dormaient sans pouvoir changer de place, plus
que ne leur permettait la longueur de leur chaîne, et n’ayant
d’autre abri contre la pluie ou les ardeurs du soleil ou le froid
de la nuit qu’une toile appelée taud qu’on étendait au-dessus de
leurs bancs, quand la galère n’était pas en marche et que le vent
n’était pas trop violent… »
Aussi longtemps qu’une galère était en
campagne, c’est-à-dire pendant plusieurs mois, les forçats
restaient enchaînés à leurs bancs par une chaîne longue de trois
pieds seulement.
« Ceux, dit Michelet, qui pendant des
nuits, de longues nuits fiévreuses sont restés immobiles, serrés,
gênés, par exemple, comme on l’était jadis dans les voitures
publiques, ceux-là peuvent deviner quelque chose de cette vie
terrible des galères. Ce n’était pas de recevoir des coups, ce
n’était pas d’être par tous les temps, nu jusqu’à la ceinture, ce
n’était pas d’être toujours mouillé (la mer mouillant toujours le
pont très bas), non, ce n’était pas tout cela qui désespérait le
forçat, non pas encore la chétive nourriture qui le laissait sans
force. Le désespoir ; c’était d’être scellé pour toujours à la
même place, de coucher, manger, dormir là, sous la pluie ou les
étoiles, de ne pouvoir se retourner, varier d’attitude, d’y
trembler la fièvre souvent, d’y languir, d’y mourir, toujours
enchaîné et scellé. »
« Je te dis ingénument, écrit le martyr
Louis de Marolles à sa femme, que le fer que je porte au pied,
quoiqu’il ne pèse pas trois livres, m’a beaucoup plus embarrassé
dans les commencements que celui que tu m’as vu au cou à la
Tournelle. Cela ne procédait que de la grande maigreur où
j’étais ; mais, maintenant que j’ai presque repris tout mon
embonpoint, il n’en est plus de même ; joint qu’on m’apprend
tous les jours à le mettre dans les dispositions
qui
incommodent le moins
. »
À un bout de la galerie, sur une sorte de
table dressée sur quatre piques, siégeait le comité, bourreau en
chef de la chiourme, lequel donnait le signal des manœuvres avec
son sifflet : d’un bout à l’autre de la galère régnait un
passage élevé appelé coursier, sur lequel circulaient les
sous-comités, armés d’une corde ou d’un nerf de bœuf, dont ils se
tenaient prêts à frapper le dos nu des rameurs assis, six par six,
sur chacun des bancs placés à droite et à gauche du coursier.
Dès qu’il fallait faire marcher la galère à la
rame, en effet, pour permettre aux comités de maltraiter plus
aisément les forçats, on obligeait ceux-ci a quitter la chemisette
de laine qu’ils portaient quand la galère était à l’ancre ou
marchait à la voile, ainsi que Louis de Marelles l’écrit à sa
femme :
« Si tu voyais mes beaux habits de
forçat, tu serais ravie. J’ai une belle chemisette rouge, faite
tout de même que les sarreaux des charretiers des Ardennes. Elle se
met comme une chemise, car elle n’est ouverte qu’à demi par
devant ; j’ai, de plus, un beau bonnet rouge, deux hauts de
chausse et deux chemises de toile grosse comme le doigt, et des bas
de drap : mes habits de liberté ne sont point perdus et s’il
plaisait au roi de me faire grâce, je les reprendrais. »
À un premier signal, les forçats enchaînés et
nus jusqu’à la ceinture, saisissaient les manilles ou anses de bois
qui servaient à manœuvrer les lourdes rames de la galère, trop
grosses pour être empoignées et longues
de cinquante
pieds
.
À un nouveau coup de sifflet du comité, toutes
les rames devaient tomber ensemble dans la mer, se relever, puis
retomber de même, et les rameurs devaient continuer sans nulle
interruption pendant de longues heures, ce rude exercice qu’on
appelait
la vogue
.
« On est souvent presque démembré, dit
une relation, par ses compagnons dans le travail de manœuvre,
lorsque les chaînes se brouillent, se mêlent et s’accourcissent et
que chacun tire avec effort pour faire sa tâche. »
« Il faut bien, dit Marteilhe, que tous
rament ensemble, car si l’une eu l’autre des rames monte ou descend
trop tôt ou trop tard, en manquant sa cadence, pour lors,
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