Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
dans sa bourse, en sorte qu’il
s’enrichit en cinq ou six campagnes. Bion ajoute que les malades
préféraient de l’eau chaude, à la ressemblance de bouillon qu’on
leur donnait et que les chirurgiens revendaient dans les villes, où
ils abordaient, les drogues qu’on leur avait fournies pour leurs
malades, et dont ils avaient économisé l’emploi au détriment de
ceux qu’ils avaient à soigner.
Le peu de souci que les conducteurs de la
chaîne avaient pour la vie des condamnés qu’on leur confiait, se
manifestait cruellement quand il s’agissait de procéder à la visite
des effets, visite qui se répétait plusieurs fois au cours du
voyage.
Voici, par exemple, comment à Charenton on
procéda
à cette visite
,
au mois de décembre
,
à neuf heures du soir
,
par une gelée et un vent de
bise que tout glaçait
,
pour la chaîne de quatre cents
condamnés dont Marteilhe faisait partie
.
« On nous ordonna, dit Marteilhe, de nous
dépouiller entièrement de nos habits et de les mettre à nos pieds.
Après que nous fûmes dépouillés
nus comme la main
, on
ordonna à la chaîne de marcher de front jusqu’à l’autre bout de la
cour, où nous fûmes exposés au vent de bise
pendant deux
grosses heures
, pendant lequel temps les archers fouillèrent
et visitèrent tous nos habits… La visite de nos hardes étant faite,
on ordonna à la chaîne de marcher de front jusqu’à la place où nous
avions laissé nos habits. Mais, nous étions raides du grand froid
que nous avions souffert, qu’il nous était impossible de marcher.
Ce fut alors que les coups de bâton et de nerfs de bœuf plurent, et
ce traitement horrible, ne pouvant animer ces pauvres corps, pour
ainsi dire tout gelés, et couchés, les uns raide morts, les autres
mourants, ces barbares archers les traînaient par la chaîne de leur
cou, comme des charognes, leur corps ruisselant du sang des coups
qu’ils avaient reçus.
Il en mourut ce soir-là ou le
lendemain
,
dix-huit
. Pendant la route, on fit encore
trois fois cette barbare visite, en pleine campagne, avec un froid
aussi grand et même plus rude qu’il n’était à Charenton. »
Il mourait bien d’autres condamnés tout le
long de la route.
Les galériens mal nourris, sans cesse
cruellement maltraités, écrasés sous le poids des fers qu’ils
avaient à porter, devaient chaque jour faire de longues étapes sous
la pluie ou la neige. Arrivant à leurs lieux d’étapes harassés de
fatigue, transis et mouillés jusqu’aux os, il leur fallait
s’étendre sur le fumier d’une écurie ou d’une étable au râtelier de
laquelle on attachait la chaîne. On leur refusait même de la
paille, qu’il eût fallu payer pour couvrir les excréments des
animaux, et c’est sur ce lit répugnant que rongés de poux, qu’ils
enlevaient à pleines mains ; ils devaient tenter de prendre un
peu de repos. Mais c’était chose presque impossible, car le moindre
mouvement que l’un faisait réveillait douloureusement celui qui
était attaché à la même chaîne, et le supplice de l’insomnie,
s’ajoutant à tant d’autres souffrances, venait à bout des plus
rigoureux.
Marteilhe était accouplé avec un déserteur
avec lequel il couchait dans les écuries ou les étables ; à
chaque étape de la chaîne, ce déserteur, dit-il « était si
infesté de la gale, que, tous les matins, c’était un mystère de me
dépêtrer d’avec lui, car, le pauvre misérable n’avait qu’une
chemise à demi pourrie sur le corps, que le pus de la gale
traversait sa chemise, et que je ne pouvais m’éloigner de lui tant
soit peu ; il se collait tellement à ma casaque qu’il criait
comme un perdu lorsqu’il fallait nous lever pour partir, et qu’il
me priait, par grâce, de lui aider à se décoller. » Quand
après avoir passé une nuit sans repos à l’étape on se remettait en
route, on n’avait à attendre nulle pitié, ni du conducteur de la
chaîne qui vous rouait de coups, ni des passants que l’on
rencontrait et qui vous injuriaient quand ils ne faisaient pas pis
encore. Un gentilhomme de soixante-dix-ans, Jean de Montbeton, est
impitoyablement insulté par la population fanatique que rencontre
la chaîne à laquelle il est attaché. Martheilhe et ses compagnons
de chaîne, mourant de soif en traversant la Provence, tendent en
vain leurs écuelles de bois en suppliant qu’on y verse quelques
gouttes d’eau. « Marchez ! leur répondent les femmes, là
où vous allez, vous
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