Les joyaux de la sorcière
salons…
Il y eut un silence. Chacun des trois hommes pesait les paroles prononcées ou entendues. Aldo se redressa et consulta sa montre. Le temps passait vite et si l’on voulait conduire ce malheureux au Mandala il fallait se mettre en route sans tarder. Il dit encore :
— Est-ce uniquement à cause de ce mystère abominable que vous avez voulu sauver Jacqueline Auger ou y avait-il autre chose ?
— Vous voulez savoir si je l’aimais ? Je n’ai aucune raison de le cacher : oui je l’aimais et je me suis reproché de n’avoir pas fui avec elle mais elle ne m’aurait peut-être pas cru si elle supposait que j’agissais pour mon propre compte. Et puis je pensais aussi qu’en restant j’aurais, avec un peu de chance, la possibilité de retarder les recherches.
— Bien ! Si vous êtes d’accord, Ted, nous pourrions y aller ? Tenez, ajouta-t-il en tirant quelques billets de son portefeuille et en les offrant à Agostino qui les prit avec des larmes dans les yeux :
— Vous me sauvez, Monsieur, et j’espère que Dieu vous le rendra. Sachez encore que moi je n’ai jamais tué personne, sinon pendant la Guerre…
— Je l’espérais. À présent j’en suis sûr !
Quand on sortit de la Tavern c’était l’heure noire entre toutes qui précède l’aube. La pluie reprenait après avoir cessé un moment, activée par un vent froid venu du nord.
— La Season commence bien mal ! remarqua Ted Mawes. D’habitude à cette époque, on aurait plutôt tendance à avoir chaud.
— Vous craignez que la vie mondaine n’ait à en souffrir ?
— Pas vraiment. Les réceptions varieront un peu. On tendra des vélums sur les jardins et le champagne coulera quand même à flots…
— Le champagne ? Et la Prohibition alors ?
— Vous ne voudriez pas que l’élite de la société new-yorkaise s’en prive et se mette à la limonade ? On dit même qu’il existe un pipe-line de whisky avec le Canada. La Police sait trop bien de quel côté sa tartine est beurrée. Elle n’aura guère que six semaines à fermer les yeux…
Un moment plus tard Agostino dûment embarqué, les deux hommes revinrent l’un vers la Tavern l’autre vers sa chambre sous les roses trémières. Avant de se séparer, Ted avait dit :
— Vous je ne sais pas mais moi j’ai besoin de deux ou trois heures de sommeil pour me remettre les idées en place. Quelle histoire ! Vous y croyez ?
Devant eux les mâts des bateaux aux coques fraîchement repeintes dansaient dans le vent du matin. Sur les quais, les portes et les fenêtres pimpantes souvent habillées de lierre ou de fuchsias ouvraient sur les premiers balais du jour. En dépit du ciel gris et des bourrasques, l’image était plaisante, empreinte d’un charme ancien sur lequel l’agressive rougeur d’une pompe à essence ne pouvait pas grand-chose. Sous son imperméable mouillé, Aldo haussa les épaules :
— Difficile d’y croire quand on est devant un tel décor, n’est-ce pas ? Pourtant je suis persuadé que ce garçon a dit la vérité même si elle nous paraît abracadabrante. Derrière toutes les clartés il y a des ombres et il arrive que des vipères se glissent sous les roses.
— Il est beaucoup trop tôt pour la poésie, grogna Ted. Allez dormir ! Vous en avez besoin autant que moi !
Comme un rideau de théâtre qui se lève annoncé par les coups du brigadier, l’arrivée du Nour Mahal fit éclater le calme et le silence relatif où baignait encore l’île. Une série de yachts le suivirent cependant qu’apportés par les ferries, voitures de sport, coupés et limousines, tous dernier cri, se succédaient et rejoignaient les différents domaines dans des vrombissements de moteurs et les éclaboussures d’une poussière qui transformée en boue n’avait pas eu le temps de sécher. Un soleil rouge se montra pourtant en fin de journée, annonciateur d’un vent qui réjouit les coureurs de régates rassemblés sur la terrasse du Yacht-club frissonnante sous les fanions et les drapeaux. En même temps l’air s’emplit de musiques, fanfares ou jazz annonçant aux échos que la Season de Newport commençait et que, pour caser ces manifestations, il n’y avait pas de temps à perdre, six semaines étant vite passées.
Chassé par cette agitation débordante, Aldo décida de faire une nouvelle tentative d’approcher Betty Bascombe. Cette femme qui errait si souvent aux abords du Palazzo et qui avait une si puissante
Weitere Kostenlose Bücher