Les joyaux de la sorcière
grand salon où sur une tribune l’orchestre attaquait la première danse. Tandis que Belmont – politesse oblige ! – ouvrait le bal avec Ava, Aldo s’inclina devant Pauline :
— Me ferez-vous l’honneur, baronne ?
— Volontiers, mon cher prince…
C’était un plaisir que s’accordait Aldo dans un bal qui l’ennuyait plutôt. Sur le bateau Pauline et lui avaient dansé plusieurs fois ensemble et leurs pas s’accordaient bien. Elle était souple et légère à la fois tout en dégageant un charme auquel, ce soir, il s’avouait sensible. C’était peut-être ce costume ou ce parfum discrètement ambré qu’il ne lui connaissait pas… D’habitude elle usait d’un parfum qui lui était connu, « Arpège » de Lanvin que Lisa avait porté un moment mais ce soir c’était différent. Plus oriental ? Diablement sensuel en tout cas et il lui en fit compliment :
— Je pourrai avoir envie de vous séduire ce soir ? murmura-t-elle en se serrant un peu plus contre lui. Et ne me parlez pas de Vauxbrun ! C’est ainsi ! ajouta-t-elle avec irritation.
— Pourquoi ce soir ?
— Parce que je regrette d’avoir invité Ricci et compagnie pour vous faire plaisir. Ils… ils me font peur !
— Peur à vous qui ne craignez ni Dieu ni Diable ?
— Où avez-vous pris ça ? Je crains Dieu et je redoute le Diable. Or j’ai l’impression qu’il vient d’entrer dans cette maison. Peut-être en double exemplaire parce que la douce fiancée ne me plaît guère plus que ce vilain prédateur. Qu’avez-vous l’intention de faire ?
— Dans l’immédiat ? Inviter Miss Forsythe à danser. Elle ne m’a pas encore aperçu et je compte d’abord sur l’effet de surprise. En outre il faut que j’essaie de la détourner de ce mariage…
— Si elle ne vaut pas plus cher que lui, laissez-les donc s’entretuer ! Vous y tenez à ce point ?
— C’est Adalbert qui y tenait et vous dites des sottises ! Je suis venu pour régler un compte avec Ricci et mettre un terme à ses méfaits. Il se trouve qu’il s’agit de cette fille mais j’en ferais autant pour n’importe quelle autre !
— Elle est trop belle pour ma paix intérieure !
— Pas pour la mienne ! Ne vous tourmentez pas !
Rapprochant leurs visages, il posa un baiser léger sur la tempe de Pauline. La danse s’achevait. Il prit sa main pour l’emmener vers l’un des buffets où le champagne coulait à flots.
— Venez boire une coupe ! Cela sera salutaire à tous les deux…
Elle le quitta ensuite, entraînée par une imposante copie de Louis XIV – « Encore un, pensa Aldo, qui ne sait pas lire les chiffres romains ! » – qui prétendait l’entretenir d’une affaire importante. Aldo regarda autour de lui, cherchant Ricci et sa compagne. Ce n’était pas facile. La fête démarrait agréablement. Entre les pauses de l’orchestre, le brouhaha des conversations s’élevait coupé de rires et de l’entrechoquement cristallin des verres. Il finit par les apercevoir assis sous une cascade de roses au milieu d’un groupe formé par les Schwob et trois autres personnes dont il ignorait tout puisque à Newport il ne connaissait pas grand monde. Ricci parlait d’abondance en faisant beaucoup de gestes mais la fiancée donnait l’impression de s’ennuyer à mourir. Elle concentrait son attention sur le gros diamant qu’elle portait à l’annulaire et qui devait être sa bague de fiançailles. L’orchestre entamait un boston quand Aldo fonça droit sur le groupe, s’inclina :
— Puis-je avoir la faveur de cette danse, Mademoiselle ?… Vous permettez, Monsieur ? ajouta-t-il en se détournant à peine vers Aloysius Cesare.
Ce disant, il tendait une main gantée pour que « Mary » y mît la sienne. Ce qu’elle fit presque sans hésiter. La surprise la fit rougir et arrondit ses beaux yeux. Elle se levait quand Ricci, l’œil mauvais, intervint :
— Qui êtes-vous, Monsieur ?
Aldo lui offrit son sourire le plus impertinent :
— Nous nous connaissons voyons ! Le déjeuner place Vendôme avec Boldini et votre…
— Ah oui ! s’écria-t-il en plaquant un vague rictus sur son visage et, soudain volubile : Je ne vous ai pas oublié mais quand on ne s’attend pas à quelqu’un ? Ainsi vous voilà de l’autre côté de l’Atlantique ? Puis sans attendre une réponse évidente, il ajouta « Mary dear, je vous présente le prince Mosorini, de… Venise. Je crois même l’avoir
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