Les joyaux de la sorcière
écrivit elle-même à Ferdinand, plaidant pour un rapprochement entre les deux frères. Le cardinal revint à Florence… On échangea des visites courtoises, on donna des fêtes et même une chasse dont le cardinal était friand à la suite de laquelle Ferdinand reçut à souper le couple grand-ducal. En rentrant à la loggia les deux époux s’attardèrent auprès du petit lac pour jouir de la beauté d’une nuit exceptionnelle… et le lendemain tous deux souffraient d’une fièvre violente qui les clouait au lit… Ce fut l’affaire de quelques jours. François mourut le premier puis ce fut le tour de Bianca après avoir adressé à son époux un dernier message d’amour. Les sénateurs de Venise sautèrent sur l’occasion et n’eurent qu’une seule voix pour clamer que le cardinal avait empoisonné leur fille mais Florence était toute à la joie de cette double mort et s’en soucia peu. On illumina. Ferdinand jetant sa soutane aux orties, accepta la couronne et fit faire à son frère de fastueuses funérailles mais il refusa la sépulture chrétienne à la Strega . On l’enterra de nuit et clandestinement dans un terrain en friche…
Trois paires de mains applaudirent la fin du récit. Lisa salua une main sur le cœur et acheva son champagne.
— Je ne te savais pas une telle culture florentine, fit Aldo. Je croyais que seule Venise t’intéressait ?
— Ses ramifications aussi et Bianca en est une belle, il me semble ?
— En tout cas j’ignorais la fin de l’histoire. On n’a jamais retrouvé son corps ?
— Je ne crois pas. D’ailleurs pourquoi aurait-on cherché ? Tu penses bien que les sbires de Ferdinand ne l’ont pas inhumée avec ses bijoux.
— Elle devait en posséder de magnifiques s’écria Marie-Angéline qui s’était tenue coite durant le récit de Lisa ce qui ne lui ressemblait pas. Sait-on ce qu’ils sont devenus ?
Elle allait devoir attendre la réponse un moment. Le vieux Cyprien qui patientait depuis pas mal de temps pour annoncer « Madame la Marquise est servie ! » se lança dans la brèche pour clamer son message en y ajoutant sotto voc e :
— Si les quenelles sont trop cuites, il faudra s’expliquer avec Eulalie ! Elle est d’une humeur de chien !
En passant près de Cyprien, Aldo lui tapa sur l’épaule :
— Voulez-vous que j’aille la voir ?
— Elle adore Votre Excellence mais elle est sourde et aveugle quand l’un de ses plats est en danger ! Peut-être si le potage est expédié rapidement…
Or il était très chaud, le potage. On se brûla héroïquement et il fut avalé en trois minutes. Tous les visages étaient d’une belle couleur écarlate quand les quenelles de brochet à la Nantua firent leur apparition, à peine moins gonflées qu’il aurait fallu mais ensuite on se consacra à leur dégustation. Silencieuse bien entendu et ce fut seulement quand Cyprien servit les émincés de veau aux épinards que l’on put reprendre la conversation. « Plan-Crépin » ouvrit le feu.
— Alors ? Ces bijoux ?
Elle regardait Morosini et celui-ci ne s’y trompa pas :
— Au risque de vous décevoir je dirai que je n’en sais rien. Les Médicis étaient si riches et leurs joyaux si nombreux qu’il n’est pas facile de s’y retrouver. Mais nous pouvons réfléchir ensemble. En premier lieu je vais démolir quelque peu l’image sulfureuse que ma chère épouse a donnée de Ferdinand. Après la mort de son frère et de Bianca, on a pratiqué une sorte d’autopsie et aucun poison n’a été décelé dans les viscères…
— As-tu vraiment le sentiment que s’ils en avaient trouvé les médecins en auraient fait part au nouveau Grand-Duc ? s’insurgea Lisa. Il aurait fallu être fou ou suicidaire puisque les victimes avaient pris chez lui leur dernier repas…
— Ôte-toi de l’esprit que c’était un homme cruel ! Depuis Laurent le Magnifique il a été le meilleur et le plus sage administrateur de Florence qui a connu sous son règne une paix brillante.
— Il a tout de même jeté sa soutane aux orties comme dit Lisa, coupa Marie-Angéline pour qui ce qui touchait à la religion était sacré.
— Elle n’était que symbolique, sa soutane ou plutôt sa simarre. Il avait été nommé cardinal à quatorze ans comme cela se faisait beaucoup dans nos familles princières mais il n’avait jamais reçu les ordres. N’empêche que l’Église lui doit pas mal de choses comme l’œuvre de la
Weitere Kostenlose Bücher