Les "Larmes" De Marie-Antoinette
Nous allons dîner chez La Pérouse… et je reviens aussitôt que possible. Vous m’attendrez ?
Il ne l’avait jamais vue aussi émue. Ses lèvres tremblaient et son regard étincelant suppliait. Ce qui était superflu…
— Je vous attendrai…
Il la regarda sortir avec ses amis dans les lumières de la place Vendôme. Le voiturier ouvrit pour eux la portière d’une imposante automobile de laque noire où ils prirent place. Aldo, alors, se dirigea vers l’ascenseur pour gagner sa chambre où l’on avait déjà monté son léger bagage qui ne renfermait aucune tenue de soirée, ce qui lui rendait difficile l’accès aux salles à manger. C’était de peu d’importance : il n’avait aucune envie de s’y montrer. Ce dont il avait rêvé, c’était d’emmener Pauline dîner à Montmartre ou à Montparnasse dans un de ces petits bistrots où personne ne les connaîtrait. Mais puisqu’il fallait y renoncer, il appela le garçon d’étage afin de se faire apporter un menu, commanda une cassolette de queues d’écrevisses, une escalope de foie gras au beurre noisette avec des petits pois frais et une bouteille de meursault Goutte d’or. En attendant il prit une douche, se rasa, passa une chemise propre et le costume qu’il avait porté pour sa visite à Kledermann, puis mangea devant la fenêtre ouverte sur la place, en tête à tête avec la statue de Napoléon qui le regardait du haut de sa colonne faite avec les canons pris à Austerlitz. Son cœur battait sur un rythme inhabituel où la hâte se mêlait à une vague inquiétude. Que ferait Pauline en rentrant ? L’appellerait-elle pour lui donner rendez-vous à l’un des bars ou dans un salon ? Ou encore – ce qu’il espérait ! – le ferait-elle venir chez elle ?
Des minutes qui semblaient des heures passèrent. Interminables, occupées par la fumée des cigarettes qu’Aldo allumait l’une après l’autre. De temps en temps, il se levait pour respirer l’air frais du soir ou le bouquet de roses posé sur un guéridon. Il se retrouvait à quinze ans attendant son premier rendez-vous d’amour mais gardait cependant assez de sang-froid pour s’irriter de cette faiblesse. Il se jugeait ridicule : le téléphone allait sonner d’un instant à l’autre et Pauline lui demanderait de la rejoindre pour boire un verre ensemble, évoquer leurs souvenirs de l’été précédent et rien ne voulait dire qu’elle réveillerait celui de leur minute d’abandon dans la bibliothèque. Ils étaient des amis, seulement des amis ! Ne s’y étaient-ils pas engagés solennellement ? Pourtant son moi profond rejetait cette mièvrerie, cette comédie de l’amitié. Si à Newport il n’avait pas senti l’approche du désir, cette nuit il le savait là, prêt à l’embraser dès que sa main toucherait celle de Pauline… Il en fut même effrayé au point de songer à fuir en laissant un mot derrière lui…
Et puis, peu avant minuit, on frappa à sa porte, qui s’ouvrit, et Pauline entra sans rien dire. Elle le regardait seulement, debout devant le vantail repoussé et ce regard fascina Aldo. Il se leva lentement pour aller vers elle, vers ce visage dont la passion exaltait la beauté sensuelle. Comme au petit matin de Newport, elle tendit les bras qu’elle referma étroitement sur lui quand il l’étreignit. Et plus rien n’exista…
Quand Aldo s’éveilla au lever du jour, il était seul dans le lit bouleversé où s’attardait le parfum de Pauline et un long cheveu noir qu’il prit avec délicatesse pour l’enrouler autour de son doigt. La nuit qui s’achevait avait été torride et tendre à la fois et c’était cette tendresse qui mettait une ombre sur l’extraordinaire sensation d’euphorie. Cela voulait dire qu’il ne s’agissait pas seulement de leurs corps mais qu’un peu de leur âme s’était détachée d’eux pour aller vers l’autre. Et ça c’était inquiétant… Dès l’instant où l’acte de chair devenait acte d’amour, tout était à craindre.
En se dirigeant vers la salle de bains et la douche froide dont il avait le plus grand besoin pour se remettre les idées en place, il trouva, sur la coiffeuse, une enveloppe sur laquelle la main ferme de Pauline avait tracé son nom et dans laquelle, bien sûr, il y avait une lettre :
« Je plaide coupable, Aldo… Ce qui s’est passé cette nuit, je l’ai voulu de toutes mes forces au mépris total de ce dont nous étions convenus. Notre étreinte trop
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