Les "Larmes" De Marie-Antoinette
qui, méfiant, reçoit le coiffeur plutôt mal, garde le billet et n’en tient aucun compte. Vexé, notre homme poursuit son chemin et, arrivé à Varennes, voilà-t-il pas qu’il se pose en donneur d’ordres, explique au fils du général de Bouillé et à M. de Raigecourt, qu’il est « au courant de tout », qu’il « n’a rien à lui cacher », qu’il vient de donner des ordres à Clermont et à Sainte-Menehould pour que l’on retire les troupes et il ajoute que le Roi a été arrêté à Châlons ! Et cet abruti désorganise tout le dispositif mis en place par Bouillé en accord avec le Roi. Va-t-il s’en tenir là ? Que nenni ! Il poursuit sa route vers Montmédy, se trompe de chemin, rebrousse et ne parvient à Stenay où est le quartier général que le lendemain tard dans la journée : la berline royale avait été arrêtée à Varennes depuis plusieurs heures mais Bouillé l’ignorait. Aux questions pressantes du général, Léonard répond à côté et reste dans le vague même au sujet de Choiseul. Il ne sait rien, il n’a rien vu… Il remet cependant les diamants de la Reine et le bel habit rouge et or du Roi à Bouillé, qui les confie à un de ses aides de camp. Puis il fait loger le malencontreux émissaire… Le lendemain, on trouva l’officier en charge du trésor lardé de coups de poignard, la cassette de la Reine envolée et plus la moindre trace de Léonard sauf celles de son cabriolet qui se dirigeait vers la frontière… Je vous ai tout dit !
— Eh bien ! Moi qui croyais connaître assez convenablement l’histoire de la tragique équipée de Varennes !…
— Au moins vous êtes fixé ! Cela dit, qu’est-ce que vous vouliez savoir au sujet de ce mauvais drôle ?
— Oh, un simple détail ! Léonard, c’était bien son nom ?
— Comment l’entendez-vous ?
— Je veux dire que c’était son nom de famille ?
— Mais non. Il s’appelait Autié ! Léonard Autié… comme la pauvre fille que l’assassin de Trianon a fait enlever pour nous obliger à lui remettre les parures de la Reine. Personnellement je suis contre !
— Quoi ? Vous voudriez qu’on laisse découper en morceaux cette malheureuse qui n’est pour rien dans cette histoire ?
— Elle porte le sang de ce misérable ! On est toujours plus ou moins responsable de ses ancêtres parce qu’ils revivent en nous.
— Mais il me semble avoir lu quelque part que Léonard avait été guillotiné ?
— C’est son frère qui l’a été… si quelqu’un de ce nom a vraiment laissé sa tête sous le couperet car, en réalité, le bonhomme n’est réellement mort qu’en 1820. En fait, après un séjour à l’étranger il est revenu s’installer à Versailles où on lui donna une place dans les services de remonte de l’armée… et je suppose même qu’il occupait la maison où sa descendante a été enlevée…
— Vous avez raison. Ça expliquerait pas mal de choses…, émit Adalbert songeur…
— Quoi, par exemple ? demanda le professeur avec une avidité que son interlocuteur jugea suspecte.
Mais l’autre battit en retraite :
— Rien de précis encore ! Je… je vous informerai quand j’aurai vérifié un fait ou deux… Cela dit, je crois que je vous ai dérangé suffisamment. Veuillez m’excuser et recevoir mes remerciements !
Cependant il avait mis le vieil érudit sur le sentier de la guerre. Ponant-Saint-Germain n’en avait pas fini avec lui et le coinça dans l’antichambre en le retenant par la manche.
— Ces inestimables joyaux, vous allez vraiment les donner ?
— Ce n’est pas moi, ni même vous : ils appartiennent au prince Morosini et à son beau-père, le banquier suisse Moritz Kledermann. Ce sont eux qui vont s’en défaire… pour que vive cette jeune fille !
— Qu’elle vive ou qu’elle meure, où est l’importance ? Les gens du sang de Léonard ne devraient pas avoir le droit d’exister… surtout à Versailles ! Quant à ces sublimes bijoux qui étaient chers à la plus merveilleuse des reines, il ne faut pas les éparpiller aux quatre coins de l’univers mais les réunir ici, chez elle…
Abasourdi, vaguement écœuré, Adalbert écoutait délirer le vieillard avec un mélange d’indignation et de répulsion. Pourtant il y avait là matière à réflexion. C’était une haine véritable qu’exprimait celui en qui tous voyaient un respectable historien, pittoresque et un rien risible. Se pouvait-il qu’il
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