Les "Larmes" De Marie-Antoinette
beaucoup !
L’attente allait durer près de trois heures. Elle eût paru interminable à Aldo, en dépit du café additionné de chicorée, ce qui était sans doute très sain mais qu’il détestait, si au bout de deux heures le commissaire Lemercier ne s’était manifesté avec sa grâce habituelle :
— Tiens, vous êtes là, vous ?
— Eh oui !
— Et en quel honneur ?
— J’essaie de réconforter M me Karlova. Sans grand succès je le crains, soupira Aldo en considérant le visage désolé sur lequel les larmes ne cessaient de couler, silencieuses et d’autant plus navrantes. Quant à Marfa, son café avalé, elle avait entamé une interminable prière qui ressemblait au bourdonnement des abeilles.
— Il paraît que Karloff est salement amoché ? C’est votre cousine qui l’a trouvé, m’a-t-on dit ? Je me demande ce qu’elle fabriquait aux environs de minuit dans une rue déserte et sous une pluie battante.
Aldo éprouva quelque peine à dissimuler son aversion. Cet homme était capable de passer Plan-Crépin à la question s’il ne se mettait pas en travers :
— Chrétienne fervente – elle se rend chaque matin à la messe de six heures où qu’elle soit – M lle du Plan-Crépin possède une âme généreuse qui ne supporte pas la souffrance d’autrui. Hier soir, sur une impulsion, elle a voulu se rendre chez M me Karlova et c’est ainsi qu’elle a pu voir les ravisseurs du colonel le jeter hors d’une voiture tel un simple paquet. Je pense que vous savez la suite…
— Et vous ne l’aviez pas accompagnée ? Par ce temps ?
— Ni M. Vidal-Pellicorne ni moi ne nous en doutions. Comme tous les êtres de qualité, elle pratique une charité discrète, poursuivit Aldo avec une sévérité qui parut faire impression. Le vieux « Dur-à-cuire » se radoucit :
— A-t-elle pu distinguer la voiture des ravisseurs ? C’était son taxi ?
— En dépit de la peur qu’elle a eue je crois qu’elle l’aurait remarqué. Elle est très observatrice…
— Je verrai avec elle ! Après déjeuner ! Je suppose qu’elle doit dormir à cette heure ?
— Merci de le comprendre, commissaire !
En vantant les qualités de Marie-Angéline, Aldo n’avait rien exagéré. Il en fut lui-même surpris lorsqu’elle précisa à Lemercier qu’il s’agissait d’une Renault noire, d’un modèle un peu ancien, dont les portières étaient décorées d’un motif jaune et noir imitant le cannage d’une chaise. Malheureusement il lui avait été impossible de lire le numéro d’immatriculation en raison de la boue qui recouvrait les plaques.
— Une bonne précaution, commenta Adalbert, mais insuffisante. Le cannage des portières rend la voiture d’autant plus facile à reconnaître que l’on n’en a pas vu beaucoup sur le marché…
— Cela s’explique si c’est une voiture volée, répondit Aldo.
C’était aussi l’avis de Lemercier.
Celui-ci se disposait à repartir quand Aldo le retint :
— Pas d’autres nouvelles de l’assassin ? demanda-t-il en baissant la voix pour ne pas être entendu des deux femmes. Il est vrai que le lamento de sa suivante suffisait amplement à remplir les oreilles de M me Karlova qui l’écoutait résignée et surtout habituée.
— Aucune. Il n’a pas manifesté de nouvelles exigences, ce qui je vous avoue ne laisse pas de me surprendre.
— Peut-être n’est-il pas complètement idiot ? Il a dû finir par comprendre que si on ne lui donnait pas ce qu’il a exigé c’est parce que nous ne l’avons pas. Ou alors il se donne le temps de préparer autre chose ?
— Il a déjà fait autre chose. D’ores et déjà je porte à son crédit l’enlèvement de Karloff.
— Qui n’a guère de rapport avec Marie-Antoinette, fit Aldo avec une hypocrisie parfaite mais qui ne trompa pas Lemercier.
— Peut-être mais il me paraît très lié avec des gens dont elle occupe le centre de la vie, des… collectionneurs de bijoux, par exemple ?
— N’exagérons rien ! C’est un excellent ami pour moi aussi bien que pour Vidal-Pellicorne. Nous voulons savoir qui l’a mis dans cet état et ce qu’est devenu son taxi. Vous ne l’avez pas retrouvé, n’est-ce pas ?
Lemercier haussa les épaules et recoiffa son chapeau melon :
— Sans compter la Seine, il y a suffisamment d’étangs aux environs pour nous faire chercher jusqu’au Jugement dernier…
— Ce qui veut dire que s’il en
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