Les "Larmes" De Marie-Antoinette
corbeille à papier pendant qu’elle pliait des jupes dans sa valise…
— L’enveloppe ? Que voulez-vous que j’en fasse ?
— La regarder avec attention et me dire à quelle heure vous l’avez trouvée dans la boîte ?
— À l’aube, au moment où nous allions partir.
— Et vous avez déjà vu un facteur délivrer le courrier à ce moment-là quand il ne s’agit pas d’un télégramme ?
— Non, mais…
— Regardez mieux, vous dis-je ! Si cette épître vient d’Argentine ou est seulement passée par une poste quelconque, moi j’arrive des États-Unis !
Aldo prit le papier qu’il examina avec attention :
— C’est ma foi vrai ! Le timbre est authentique mais les compostages, à peu près illisibles, sont de pure fantaisie. Et dire, soupira-t-il, que j’ai eu ce truc dans ma poche pendant des heures sans me rendre compte de rien.
— C’est normal, fit M me de Sommières. Tu étais trop occupé à lutter contre l’envie de la décacheter délicatement pour pouvoir la lire. Un combat intérieur prend du temps…
— Vous pouvez le dire mais je suis surtout un imbécile ! Ce poulet a peut-être été écrit ici même et le cousin Sylvain ne doit pas être loin. Caroline a beau dire qu’elle va l’épouser, je ne peux m’empêcher de penser qu’il représente un danger. Et qu’elle a besoin de protection ! Vivre seule dans cette maison est une folie !
— Va lui tenir compagnie ! fit M me de Sommières acerbe en écrasant d’un geste nerveux la cigarette qu’elle aimait fumer avec son café. Elle ne demande que ça !
Devinant que quelque chose lui avait échappé, Marie-Angéline les regarda l’un après l’autre puis réintégra aussitôt son rôle de vieille fille effacée :
— Nous n’y pensons pas ! Ce ne serait pas convenable ! À la limite ce serait plutôt ma place mais…
— … mais j’aimerais savoir de qui vous êtes la lectrice et la secrétaire ? explosa la marquise. Depuis que je vous ai permis de vous fourrer dans ce sacré comité, on vous trouve dans tous les coins de Versailles sauf auprès de moi ! D’ici que je rentre rue Alfred de Vigny il n’y a pas loin !
— Calmez-vous, Tante Amélie ! plaisanta Aldo. Nous n’irons ni l’un ni l’autre mais je vais faire en sorte que la maison soit surveillée…
Sa première idée était de se rendre chez Lemercier lui poser le problème mais, en passant par le bar de l’hôtel afin d’y recharger son étui à cigarettes, il aperçut le journaliste Michel Berthier accoudé au long comptoir d’acajou où il sirotait un liquide indéfinissable dans un verre ballon, en ayant l’air de s’ennuyer prodigieusement. Il alla vers lui.
— Vous êtes encore là ? Vous avez cependant peu d’informations à rapporter en ce moment ?
— Ah, vous pouvez le dire ! Le tueur ne s’est plus manifesté, la police fait du surplace sans avoir l’air de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe et mon patron commence à trouver le temps long. Je vais attendre la soirée d’après-demain où il se produira peut-être du nouveau. Après…
— Vous buvez quoi là-dedans ?
— Une Marie Brizard à l’eau.
— Boisson de demoiselle ! Prenez plutôt un armagnac ! Ils en ont un formidable ici et je vous accompagnerai.
L’œil du journaliste s’alluma :
— Vous avez quelque chose pour moi ?
— Une manière comme une autre de passer le temps… à condition que vous soyez discret et que vos confrères n’en rêvent pas !
— Vous avez ma parole ! fit Berthier soudain sérieux.
— Une maison hantée en face de celle du pauvre colonel Karloff, cela vous intéresse. Avec en prime une jolie fille à surveiller, ça vous va ?
— Je pense bien !
— Alors, écoutez-moi !
DEUXIÈME PARTIE
VENGEANCE
MAIS POUR QUI ?
CHAPITRE VIII
REVOIR PAULINE
D’une rare beauté, le spectacle faisait reculer le temps. En franchissant la porte Saint-Antoine desservant les Trianons devant laquelle s’arrêtaient les voitures, d’une part, et, d’autre part, l’interminable tapis rouge qui se perdait sous les arbres éclairés de lanternes vénitiennes, on abandonnait le vingtième siècle, son fracas et ses outrances, pour pénétrer dans un monde mystérieux et attirant dont la magie effaçait les siècles. On n’était plus dans les années folles mais en l’an de grâce 1784 et la reine Marie-Antoinette allait recevoir le roi Gustave III de Suède venu
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