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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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aussi sa boutique, même si les rayons en étaient aux trois quarts vides. Les fermiers cultivaient leurs propres légumes et s’arrangeaient pour nourrir leur famille avec. Des tubercules, des fèves, des rutabagas, des topinambours, des panais, parfois des navets et des pommes de terre farineuses. Ils se contentaient de ce qu’ils donnaient d’habitude aux cochons. Le commerçant ne les fournissait qu’en produits de base : saindoux, huile, œufs et beurre d’ achetaige 1 lorsqu’il pouvait s’en procurer. Même le savon faisait défaut.
    Le père Levasseur, le marchand de charbon, fumait sa pipe devant son échoppe. Pour l’instant, Dieu merci, le charbon ne manquait pas, même s’il n’était pas de première qualité. Au moins permettait-il aux villageois d’alimenter leur poêle quand ils n’avaient pas de bois à faire flamber dans la cheminée. L’automne avançait à grands pas et on prévoyait un hiver rude.
    Aujourd’hui, c’était la Toussaint. La veille, les paysans avaient semé le froment, afin que la récolte future soit bénie par les saints. Le jour même, les derniers meuniers de la région avaient arrêté leur moulin à vent en dirigeant leurs ailes vers le cimetière de Concoret. On s’abstenait également de balayer le sol, pour ne pas risquer de chasser une âme en peine. Et, bien entendu, les garçons ne courtisaient pas les filles, car ils auraient alors provoqué le sort et attiré la mort sur la tête de leur bonne amie…
    Évidemment, il pleuvait, comme le voulait la tradition. Non pas une franche averse, une bonne harée qui ne durait qu’un temps, lavait la terre et se clôturait par un arc-en-ciel, comme un paon faisant la roue, mais une sorte de crachin maussade et sournois, inapte à arroser le sol mais suffisant pour geler les os et donner la goutte au nez. Les vieilles qui se rendraient en pèlerinage au cimetière dans la journée auraient toutes un mouchoir à la main, qui leur servirait autant à essuyer leur morve qu’à pleurer leurs défunts.
    –  V’là la plée 2 , à c’t’houre , commenta le marchand de charbon en crachant par terre son jus de pipe.
    – Un vrai temps de Toussaint, confirma Léonard en lorgnant vers le ciel bas.
    – Ça nous change guère, ajouta le boulanger en essuyant ses grosses mains enfarinées sur un torchon à carreaux. La plée , par chez nous, ça commence à la Toussaint et ça va tout droit jusqu’à Pâques.
    Le père Levasseur ricana en tirant sur sa bouffarde et cligna de l’œil en direction du marchand de pain.
    – Qu’il fasse beau ou mauvais temps, c’est toujours la saison des doryphores, pas vrai, Erwann ?
    – Pas si sûr. Depuis le coup de froid qu’ils ont pris en Russie en février dernier, i’ commencent à battre de l’aile, les nuisibles. T’en fais pas, Levasseur, à Londres ils ont de bons insecticides !
    Les trois hommes échangèrent des sourires de conspirateurs. Ils étaient accoutumés à narguer l’occupant, non pas ouvertement, mais par de fines allusions qu’ils pensaient être les seuls à comprendre. Comme dans les émissions codées de Radio Londres, ils évoquaient les Allemands en utilisant un langage crypté.
    Depuis 1941, année où certaines régions avaient été touchées par une invasion de ces insectes destructeurs de récoltes, les Français désignaient leurs ennemis par le terme de « doryphores ». Comme ces parasites, ils proliféraient dans le pays en dévastant tout sur leur passage. Mais leur sanglante défaite en février 1943 à la bataille de Stalingrad, sur le front de l’est, avait montré les limites de la toute-puissance supposée du Reich. Même ceux qui, depuis le début de la guerre, avaient toléré la présence étrangère, en suivant les directives de collaboration édictées par le maréchal Pétain, voire qui en avaient tiré profit pour s’enrichir grâce au marché noir ou régler leurs comptes en dénonçant leurs voisins, commençaient à se détourner de Berlin pour regarder vers Londres. Quant aux autres, hostiles dès la première heure à l’occupation germanique, harassés par ces trois ans et demi de privations, de réquisitions et d’humiliations quotidiennes, ils avaient hâte que leurs voisinsd’outre-Manche viennent les aider à désinsectiser leurs terres. Cette guerre traînait en longueur. Ils avaient hâte qu’elle se termine.
    Le père Levasseur s’apprêtait à répondre à la saillie d’Erwann mais il

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