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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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soir-là. N’était-ce pas suffisant pour se donner la mort, lorsqu’on a dix-huit ans ?
    Et puis, même si on écartait la thèse du suicide, les soupçons se porteraient, non sur Dahud, mais sur Philippe. On le savait de tempérament violent, sujet à des crises nerveuses. Sous l’effet de la colère, il aurait très bien pu s’en prendre à elle, la tuer. Ce ne serait pas la première fois qu’un homme assassine sa maîtresse sur un coup de sang. On conclurait à un crime passionnel. Philippe serait impliqué et ce ne serait que justice. Il l’aurait bien mérité.
    Dahud pouvait ainsi sauver sa peau, tout en tirant enfin vengeance de ceux qui leur avaient fait tant de mal, à sa fille et à elle. Philippe et Hubert de Montfort.
    Oui, Dahud assumerait le rôle de la lavandière de sang. Et les gens n’y verraient que du feu.
    Soudain, une pensée l’avait arrêtée. Le recteur.
    Annaïg s’était confessée au recteur après avoir quitté Philippe. Le témoignage du prêtre pourrait donc innocenter le jeune noble et jeter le soupçon sur Dahud, puisqu’il avait conseillé à la jeune fille de rentrer chez elle sans tarder et de se confier à sa mère.
    Mais le prêtre était lié par le secret de la confession.
    Il se doutait peut-être de quelque chose, mais ne dirait rien.
    Plus elle y pensait, plus Dahud se rendait compte que si elle s’y prenait bien, personne ne pourrait remonter jusqu’à elle. Il fallait pour cela effacer toute trace de l’avortement,car elle était la seule à en pratiquer au village. L’embryon crépitait déjà dans le poêle à charbon. Il brûlait dans le feu de l’enfer. Il suffisait à présent de faire la toilette de la morte.
    À gestes lents, Dahud avait commencé par éponger tout le sang versé. Elle avait ôté les vêtements souillés d’Annaïg et l’avait nettoyée avec soin, comme une mère lave son nourrisson. Elle voulait la rendre aussi pure qu’au moment de sa naissance. Tout en passant une éponge humide sur ses jambes ensanglantées, la vieille lavandière chantonnait une comptine pour enfants, comme si Annaïg était simplement endormie dans ses bras.
    Puis elle l’avait rhabillée avec des vêtements propres et sentant bon. Un jupon de mousseline. Un caraco de dentelle. Une devantière brodée. Elle l’avait ensuite peignée soigneusement avant de la couronner d’une coiffe neuve. Elle avait jeté dans un coin le linge souillé de sang et d’urine et l’avait allongée sur un drap blanc qu’elle avait rabattu sur son corps, en guise de suaire. Puis elle lui avait fermé les yeux.
    Annaïg était tranquille, à présent. Elle reposait. Personne ne lui ferait plus de mal.

    Dahud se massa les reins en contemplant la lune. Elle était parvenue jusqu’au lavoir sans croiser personne. Le plus gros était fait. Il n’y avait plus qu’à achever le travail.
    Elle se pencha au-dessus de la brouette et prit sa fille à bras-le-corps. Elle assura sa prise entre ses bras et, s’approchant de la margelle du lavoir, déposa son fardeau sur le rebord de pierre, avant de le faire doucement glisser dans la cuve.
    Le corps s’enfonça dans l’eau, disparut un instant, puis remonta à la surface. Le drap blanc se déployait dans l’onde comme une plante marine, une méduse ondoyante. Levisage lisse et glacé d’Annaïg apparut alors, éclairé par la lune dont elle semblait le reflet noyé dans l’eau.
    Dahud n’eut pas le cœur d’en voir davantage. Elle empoigna les bras de sa brouette et s’en fut sans un regard en arrière. Lorsqu’elle disparut au détour du chemin, on entendait encore le grincement sinistre d’une roue voilée heurtant les pierres.

Deuxième partie
    La lavandière de sang

19
    Lundi 1 er novembre 1943, Toussaint
    Erwan, le boulanger de Concoret venait de sortir du four des tourteaux brûlants, les pains de sa première fournée matinale. Des miches à la croûte épaisse et dure comme du bois, abritant une mie grossière et grumeleuse composée de sarrasin et de blé noir. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus accès à cette blanche et onctueuse farine d’avant-guerre avec laquelle il confectionnait ces pains souples et odorants dont on avait perdu le goût. Le pain noir était moins bon. Il mettait à mal les mâchoires, mais au moins il tenait au ventre. Trempé dans la soupe, il donnait l’illusion d’avoir autre chose dans son assiette qu’une insipide lavasse.
    Léonard, l’épicier, ouvrait lui

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