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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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sac d’effroi, les quatre jeunes filles évitaient de se regarder et tenaient leur tête baissée, comme si elles se sentaient coupables de l’horrible scène à laquelle elles avaient assisté. Elles avaient pourtant l’habitude des morts. En Bretagne, plus que partout ailleurs, les défunts étaient respectés et honorés. Lorsqu’un vieillard trépassait, tout le village venait lui rendre un dernier hommage en contemplant son visage découvert. Mais il s’agissait de morts naturelles, causées par l’âge ou la maladie. Tandis que là, la victime était une jeune fille de dix-huit ans à peine. Et elle était morte noyée dans le lavoir que l’on savait hanté les nuits de lune noire par les lavandières de sang…Non, cette mort n’était pas comme les autres. Elle sèmerait le scandale dans le village et resterait à jamais dans les mémoires. Concoret était déjà un village maudit à cause du souvenir d’Éon de l’Étoile. À cette triste généalogie, il faudrait ajouter la lavandière noyée du doué …
    Le père Levasseur ne croyait plus à une farce de mauvais goût. Il tirait sur sa pipe en fronçant les sourcils et se grattant la barbe. Il se tourna vers le boulanger.
    – Faudrait y aller, qu’est-ce que t’en dis, Erwann ?
    – Pour sûr, répondit l’autre en continuant à frotter ses mains sur son torchon, comme s’il cherchait à effacer une invisible tache. Mais ça serait p’t’être une chose à dire au recteur, non ? Les morts, c’est son affaire, après tout.
    – Oublie pas les gendarmes, le reprit Léonard. Une mort comme ça, c’est pas habituel. C’est à eux de chercher le pourquoi du comment. Et puis, la gosse, tu te vois la retirer de l’eau ? C’est aux bleus de faire ça, i’z’ont l’habitude.
    – Et la mère ? C’est curieux qu’elle soit pas là, observa le marchand de charbon. Et si i’y était arrivé malheur, à elle aussi ? Faudrait aller voir aussi.
    – Tout ça nous dépasse, trancha Léonard. Je vais au bureau de poste prévenir les gendarmes. C’est eux qui sauront quoi faire.
    – Et Dahud ? insista le père Levasseur. On attend les gendarmes pour elle aussi ?
    – T’as envie de lui annoncer la nouvelle ? rétorqua Léonard. Vas-y, si tu veux, mais sans moi. Et si elle a clamsé aussi, comme tu disais, elle ira pas loin. Les gendarmes la trouveront bien assez tôt.
    – Et Gwenn ? ajouta Erwan. On va laisser la petite seule avec une morte ?
    Les deux autres hommes se raclèrent la gorge, le regard fuyant.
    – On perd du temps ! tempêta le père Levasseur pour rompre le malaise qui s’instaurait. Léonard, va appeler les gendarmes. Moi, je me charge du recteur. Erwan, tu restes ici. Quant à vous, les filles, allez vous mettre à l’abri. M’est avis qu’c’est pas aujourd’hui que vous pourrez mener la buée …
    1 . Beurre que l’on achète au lieu de l’avoir fait soi-même.
    2 . Pluie.
    3 . Filles, équivalent féminin de « gars ».
    4 . Idioties.

20
    Gwenn ne pouvait détacher ses yeux du corps qui flottait à la surface du lavoir. Annaïg ne semblait pas réelle, ainsi enveloppée dans son drap blanc, ses mains croisées sur la poitrine en une ultime prière, les yeux clos, le visage apaisé, ses longs cheveux, échappés de la coiffe, ondoyant dans l’eau brune comme des algues noires. On eût dit une sirène échouée ou bien une sainte en sa châsse vitrée, dont la transparence était brouillée par les gouttes de pluie qui venaient en piqueter le miroir. Elle ne paraissait ni vivante ni morte, mais ressemblait à un songe, une apparition féerique. Une belle endormie surgie de quelque Avalon imaginaire.
    Gwenn n’avait pas osé la toucher, encore moins la hisser hors du bassin. Elle savait que sa présence en ces lieux était inutile et qu’elle aurait sans doute dû courir au village pour donner l’alerte. Mais quelque chose l’en avait empêchée. Une sorte de fascination pour la noyée qui, quelques heures plus tôt, était encore une jeune fille fraîche et alerte.
    Gwenn était l’une des dernières personnes à avoir vu Annaïg vivante. La dernière, peut-être. Elle lui avait parlé, en ce même lieu, avant que la jeune fille ne s’enfuie, hors d’elle, oubliant le panier aux herbes qui se trouvait toujours là.
    Que s’était-il passé ensuite ?
    Gwenn avait discuté un moment avec Loïc, qui avait assisté à toute la scène, puis tous deux s’étaient séparés pour rentrer

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