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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’amour maternel. Or, même encore, du moins apparemment, ses sens ne la tourmentaient pas.
    Tout en jouant avec le pied de son hanap, le garçon essaya de s’expliquer la raison d’une aussi soudaine indulgence. Car enfin, telle qu’il la conservait dans sa mémoire, la scène entre Tancrède et la chambrière l’avait indigné.
    « Elle a pris en cinq ans des tétons et des cuisses… Et après ? Rien de ceci n’est pour moi… Tout près d’elle : Blanquefort. Je ne sais de lui que le maniement des armes. A-t-il aimé naguère ? Comment nous juge-t-il ? Comment me juge-t-il ? A-t-il eu des desseins qui tous ont avorté, faisant de lui ce maussade au grand cœur ? Il a bien souvent aiguisé ma curiosité, mais jamais je n’ai osé lui poser quelque question susceptible de m’informer sur son passé… Tant pis pour moi. Et Guillaume, bien calé dans sa chaire ? Je connais ses batailles, ses emportements, ses partis pris, ses gaillardises et ses amours – si l’on peut appeler ça ainsi ! – mais j’ignore tout de sa défunte épouse. Il dit que la figure qu’en a faite Bressolles lui ressemble… Est-ce vrai ? Le sang de cette femme charriait-il des ardeurs aussi mauvaises que celles des mâles de Saint-Rémy ? Et Mathilde ? Est-il vrai que Philippe est le fils de Guillaume ? Alors pourquoi pas Eudes, qu’elle eut après ? Tiens, Didier m’observe. Je ne sais rien de lui que sa haine envers moi… »
    Sous les voûtes ombreuses, les conversations roulaient. Arnaud Clergue, impatient de satisfaire sa safrerie, et Blanquefort, qui frottait contre son avant-bras la lame de sa dague, parlèrent soudain avec animation, et Bressolles, ses poings immobiles de part et d’autre de son écuelle, ne perdait rien de leurs propos. Ogier, que le vacarme ennuyait, comprit qu’il était question de deux vilains en discorde pour un bout de pâture. D’injure en injure, ils avaient failli s’entre-égorger.
    — Ce Marcelin et ce Pimouguet sont sots ! grogna le chapelain. Ah ! là là, si j’étais le baron qui les a délivrés du chevage [184] , je romprais avec eux le contrat d’affouage, les privant ainsi du bois pour se chauffer, refaîter les toits au printemps et bâtir une grange !
    — C’est les faire crever, objecta Didier, de loin.
    — Qu’ils crèvent, après tout ! s’écria Arnaud Clergue en touchant sur sa poitrine son lourd crucifix de bois. Outre qu’ils viennent rarement à la messe, ils ont des faces de païens… Dieu, là-haut, saura se montrer meilleur arbitre que nous, qui sommes les piètres instruments de Sa Justice. Il sait juger du Bien et du Mal mieux que nous… J’ajoute que le Bien est rare, de nos jours. On dirait, en vérité, que la malivolance, la haine, la luxure, toute cette mesellerie [185] qui désola longtemps la Langue d’Oc, nous contaminent à nouveau.
    Ogier remarqua la pâleur de Girbert Bressolles. Ses doigts se serraient sur le manche de son couteau. Après que le chapelain eut dit le bénédicité, le Carcassonnais fit un signe de croix si bref qu’il semblait un simulacre. Puis, n’y tenant plus :
    — Qui doit, mon Père, décider si un acte, une pensée, ressortissent au Bien ou au Mal ? Dieu qui est loin et dont la miséricorde est infinie – un peu trop selon moi – ou nous-mêmes qui pouvons observer chaque jour les actes commis pour le Bien ou le Mal… et leurs conséquences ?
    — Je sens, mon fils, dit Arnaud Clergue sévèrement, que vous allez vous égarer.
    — Nullement. Ne vous semble-t-il pas, comme à moi, comme à tous, que le Mal suit le Bien telle une ombre tenace et maléficieuse ?
    — Le Bien est net et pur et détaché de tout. Le Mal est… effrayant !
    — Où sont-ils ? Selon ce que j’ai compris, le Bien, scintillant comme l’or, constant, inaltérable, est le lot des suzerains grands et petits, des bourgeois et des clercs. Le Mal, épouvantable et prolifique, chiendent des âmes et du royaume, est inséparable des humbles, surtout s’ils sont de Langue d’Oc… N’avez-vous point songé, messire tonsuré, que vous appartenez en partie à ces pays dont vous avez le nom et l’accent ? N’avez-vous point songé, vous qui recevez les pécheurs en confession, que le Bien et le Mal s’équilibrent en chaque être humain comme, sans doute, en chaque animal ?
    — Holà ! s’exclama le chapelain, à vif. N’allez point comparer une bête et un homme, une singesse, par exemple, avec une

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