Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
émacié, les prunelles bleu pâle et les dents, d’une blancheur de craie, rougeoyaient aux lueurs du brasier.
    — Tenez, dit-il, voici la plus avenante.
    Claresme venait d’entrer, triste, blême, vêtue de gris.
    Les écuyers chuchotèrent quelques railleries que la pucelle dut entendre car ses joues s’empourprèrent. Elle disparut dans l’escalier des cuisines.
    « Je les déteste, songea Ogier en défiant les trois gars du regard. Quand il est lavé et rasé comme ce mardi, Didier a tout d’un porc ébouillanté !… Haguenier est maigre, et d’autant plus laid qu’il est boutonneux comme une coloquinte ! Renaud est mieux, de plus haute naissance, et il le sait. N’empêche qu’il a l’œil sournois et que Didier le domine. »
    Des odeurs de rôtis, des cris, des heurts de chaudrons et de bassines montaient des cuisines. Dans la cour, maçons et charpentiers travaillaient toujours. On entendait leurs appels et leurs chants, le martellement des fers sur la pierre : certains, en effet, morcelaient les quartiers de rocher inutiles, afin que ces fragments pussent entrer dans les mâchicoulis.
    Saladin s’éloigna pour accueillir Guillaume, puis il revint flairer les pieds d’Ogier, devant lesquels il s’assit.
    — Si tu partais sans lui, mon neveu, tu n’aurais pas atteint les basses terres qu’il t’aurait rejoint pour te montrer la voie… Il a je ne sais quoi que les bêtes n’ont pas… L’as-tu vu, hier, quand nous avons mené Vivien en terre ? Il nous a suivis… comme un homme !
    Guillaume s’interrompit, car précédant Blanquefort, Tancrède venait d’apparaître.
    — Eh bien, çà ! dit-il.
    Une robe d’écarlate cramoisie, serrée à la taille par une ceinture de cuir tressé, l’habillait. Tandis qu’à pas souples, elle rejoignait son père, Ogier constata que ce vêtement était fendu à la mode de Toulouse, et rattaché à hauteur de la cuisse et du mollet par des fremaillets d’or. L’encolure du vêtement était si hardie qu’elle révélait presque tout entière, sous la vaporeuse chemise de dessous, deux boules de chair bien ferme entre lesquelles palpitait un rubis aussi gros qu’un œuf de mésange. Une crépine de soie vermeille enjolivait sa coiffure.
    Elle s’immobilisa devant l’âtre et leva ses mains nues jusqu’au collier d’or à gros maillons que Claresme avait souvent porté en son absence. Puis, comme elle se tournait vers lui, Ogier s’aperçut qu’elle était peinte.
    — Bon sang ! dit-il, cousine… Attendons-nous le roi ?
    Elle avait subtilement étalé un rouge léger sur ses lèvres et ses pommettes, un bleu exquis sous ses yeux ; du safran sur ses joues. Ainsi, elle semblait idéalement femme.
    — Claresme ne mangera pas.
    Repoussant de sa sandale Brochartre dont les sautillements l’agaçaient, Tancrède n’apporta aucune autre précision à cette annonce ; toutefois, son sourire expliquait tout : contrariée ou indignée d’avoir vu sa puînée s’approprier un de ses vêtements et employer ses fards, Claresme, dans la crainte d’être dépréciée, s’était abstenue d’apparaître.
    — Comme te voilà cointe ! s’étonna le baron, balançant entre le déplaisir et la moquerie. Par Dieu tu nous crées toujours des ébahissements.
    Sans répondre, Tancrède s’approcha de la maître-table, tira un banc et s’assit. Ogier la rejoignit, et regardant autour d’eux pour s’assurer qu’Anne était absente :
    — À qui sont destinés ces prodiges de joliesse ?
    — Mais à toi, beau cousin !
    — Tu es belle, cousine… Bien belle, en vérité… moi, dis-tu ? Je n’en souhaitais pas tant.
    Elle avait, sous ses cils longs et courbes, des yeux d’un vert profond, mystérieux. Il décida qu’ils ressemblaient à ceux d’une chatte, jusqu’au moment où un indéfinissable lueur les anima, qui l’enveloppa tout entier. « Une lionne, oui, en vérité ! » Il sentit alors que sa cousine voyait en lui aussi sûrement que lui-même, et s’enquit :
    — Tu souhaites que j’emporte de toi une image… mémorable.
    Les sourcils de la jouvencelle se froncèrent presque méchamment. Il lui faisait compliment : elle se trouvait offensée !
    — Ce soir, après souper, retrouvons-nous sous le chênes, près du puits… Il me faut te parler, cousin. Et cesse de me regarder ainsi : il nous épie.
    Immobile dans le chambranle de la porte ouvrant sur l’escalier des cuisines, Didier jetait des regards

Weitere Kostenlose Bücher