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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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femme, un rat avec un enfant !
    — Plus je nous observe, dit Bressolles, impassible, plus je ne vois en nous que des bêtes améliorées.
    Le regard du maçon examinait le cordelier comme s’il était moins qu’une bête : une chose inerte, insignifiante. Arnaud Clergue s’en courrouça :
    — Votre démonstration commence à empester le soufre, mon fils !
    Plutôt que de l’indigner, cette menace veloutée laissa Bressolles indifférent :
    — Mes paroles sentent ce que vous voulez bien qu’elles sentent, mon Père, dit-il de sa voix douce, chantante. Je n’y trouve rien qui soit en contradiction avec les divins préceptes… J’ajoute, en étant sûr d’obtenir votre approbation, que quelle qu’en soit la nature, je maudis les événements où le Bien et le Mal s’enchevêtrent au point qu’on ne saurait les discerner… où le Bien devient sans transition le Mal parce qu’il faut qu’il en soit ainsi pour qu’il triomphe de la cruauté !… Les guerres…
    — Les guerres ! s’exclama le baron. Vous n’avez nullement combattu, Bressolles. Comment osez-vous en parler ?
    Le maçon fit front, paisible, obstiné :
    — Ne vous en déplaise, monseigneur, les guerres nous concernent tous. Vous et les vôtres ostoyez [186] , je pourvois aux défenses qui vous mettent en sécurité de corps et d’esprit – sentiment qu’un manant n’éprouve guère. Ce que je souhaiterais pour ma part, c’est que tous les hommes d’armes, à quelque condition qu’ils appartiennent, soient lucides avant d’engager des batailles.
    — Ce qui veut dire ? demanda Tancrède impassible.
    — Ce qui veut dire, damoiselle, que le vainqueur d’un jour sera vaincu, meurtri, le lendemain. Ce qui veut dire qu’au-dessus des plaintes des victimes il y a les rires de ceux qui décident, mangent à leur faim, s’enrichissent et forniquent avec leurs captives. Et ces gens-là sont plus abjects encore que ceux qui s’entre-tuent par devoir ou par goût.
    Bressolles se tourna vers Ogier. Le damoiseau ne vit que ses yeux, tellement lumineux qu’il les crut baignés de larmes :
    — Vous aimez, messire Argouges, ce métier des armes, noble dans la défense et la protection, j’en conviens, mais vil dans l’agression et la persécution… Quels maîtres allez-vous prendre ? D’Édouard ou de Philippe, je sais pour lequel vous optez. Mais quand vous parviendrez à Gratot ?… Sera-ce Jean de Montfort ou Charles de Blois ? Comment trancherez-vous ?
    — Montfort est mort, dit Blanquefort.
    — On ne le sait, intervint Tancrède. Son épouse est en vie. Elle poursuit sa lutte.
    Elle s’était exaltée d’un seul coup. Ses mains tremblaient. Aucun doute, elle admirait cette femme. Ogier, intrigué, cessa de la regarder car Bressolles continuait :
    — Il vous faudra choisir, messire Argouges, dès votre arrivée en cet endroit de Normandie qui touche tant à la Bretagne que ses seigneurs, tout comme ceux du Périgord, sont divisés… Opterez-vous aussi pour le duc Jean ? Mais comment le pourriez-vous bien servir, sachant qu’il ne vaut rien !… Sa femme au nom pourtant doux de Bonne [187] rêve, dit-on, de revenir chez son père tant la bêtise de son époux est accablante et sa lubricité abjecte.
    Les conversations avaient cessé. C’était la première fois qu’Ogier éprouvait de tout son corps, de toute sa conscience, le poids d’une incertitude infinie. Que pouvait-il répondre ? Bressolles était-il un albigeois ? Il y avait peu de temps qu’on avait jeté aux fagots deux Parfaits : Authier et Bélibaste [188] .
    — Eh bien, messire Ogier, répondez !… Je n’ai rien dit qui soit outrageant.
    — J’en conviens, messire Girbert, et ne saurais vous dire quel choix je puis faire… Mon père avait fait le sien. Il se peut qu’il l’ait renié… J’ajoute que les Goddons sont en partie composés de Normands, descendants de ceux qui, avec le duc Guillaume, conquirent la Grande île… Tenez : les Bohum, par exemple. Ils sont bel et bien normands, fils et petits-fils d’un Onfroi natif de Bohon, près de Carentan… qui lui-même était fils d’un Richard de Mary, de Saint-Come-du-Mont, lequel conserva longuement ses droits en Normandie. Eh bien, Onfroi IX était contre nous à l’Écluse, et c’est son frère Guillaume qui fut fait comte de Northampton et qui appartint à l’ambassade envoyée par Édouard III à Philippe lorsqu’il fit valoir ses droits au trône de

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