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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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rassit, apparemment satisfait. Arnaud Clergue l’imita. Bressolles, en soupirant, jeta un regard sur son écuelle. Tancrède paraissait heureuse d’une telle querelle. Blanquefort semblait rêver, le regard noyé dans la tapisserie d’Obéron. Et lui, Ogier ?
    Le maçon l’avait troublé. C’était vrai qu’il haïssait Philippe et le duc Jean de Normandie : ils étaient responsables du déshonneur et des tourments de sa famille. Mais c’était vrai aussi que les prétentions d’Édouard au trône de France, même légitimes, ne pouvaient que le révolter. C’était vrai, également, qu’entre Jean de Montfort et Charles de Blois, sa préférence était allée d’emblée à ce dernier : il était l’ennemi d’Édouard. Son père, à Gratot, devait penser ainsi…
    — La chevalerie ne vous concerne pas, Bressolles, décida le chapelain d’un ton sec.
    — Elle nous concerne tous : les chevaliers sont de hommes. Nullement des dieux infaillibles et tout-puissants.
    — Méfiez-vous, mon fils, menaça le clerc en agitant un index sentencieux. Jusqu’ici, Dieu m’est témoin que je n’avais jamais côtoyé l’hérésie… Vous m’effraye tant votre courage est monstrueux.
    « Monstrueux ? s’étonna Ogier. En vérité Bressolle a raison. Mais pourquoi parle-t-il soudain ? Craint-il, s’il n’énonce pas toutes ces choses-là maintenant, de ne jamais plus trouver l’audace et l’occasion de les dire ? »
    Le baron vida son hanap, puis, comme s’il se préparait à un aveu gênant, il se gratouilla une joue.
    — J’en conviens, Bressolles, dit-il enfin sans dissimuler son amertume, on a ouvert les portes de la chevalerie à moult seigneurs indignes… Un Richard de Blainville est une pourriture dans nos rangs.
    — J’arrive, Père, et vous parlez encore de cet homme-là ! s’étonna Tancrède. Que vous a-t-il donc fait ?
    — Que t’importe !… Ta sœur, elle, ne se mêle jamais de mes parlures. Imite-la !
    Tancrède, rouge de vergogne et de dépit, allait protester, mais Guillaume tourna la tête :
    — Quant à vous, Bressolles, je comprends que vous vidiez votre sac avant votre départ. Un conseil, cependant : dites-vous que toutes les idées sont bonnes dès l’instant que Belzébuth ne les a pas inspirées.
    Le maçon fit un signe d’acquiescement bref, mais respectueux. Arnaud Clergue lui lança un regard dont Ogier ne put décider s’il était haineux ou dédaigneux. Quant à Tancrède… Saladin s’en était approché ; elle le caressait et semblait maintenant suivre un rêve.
    Elle tressaillit lorsque Mathilde, Jeanne et Guiraude, toutes rouges d’avoir passé leur matinée devant les feux, apparurent à la porte de l’escalier des cuisines. La première amenait des pichets ; la seconde, sur un plateau rond et creux comme un bouclier sarrasin, une oie fumante, et la troisième, dans un grand chaudron d’étain, des lentilles, des raves et des fèves. Bertine, la fille de Guiraude, survint alors, tenant serrées sous ses aisselles deux miches aux croûtes couleur d’or.
    Jeanne déposa l’oie à l’extrémité de la table, et Blanquefort poussa la volaille vers Didier, pour ce jour écuyer tranchant.
    — À boire, réclama le baron. Cet entretien m’a donné soif !
    La fonction d’échanson était dévolue à Renaud. Il remplit les hanaps, et contourna de telle sorte la table qu’il servit Ogier en dernier.
    — Maladroit ! s’écria le baron en voyant des gouttes de vin sur la nappe. Ne perds pas bêtement le sang de mes vignes !
    Mathilde et ses femmes s’en retournèrent aux cuisines. Elles réapparurent, portant pour les ouvriers et les gens d’armes deux épaules du sanglier, et pour la table du seigneur, sur un plateau de fer long comme une épée, un pâté de pigeons garni en son milieu d’un bouquet de plumes blanches. La petite Bertine suivait lentement cette fois, car elle tenait par l’anse un bassinet de sauce poivrade.
    Le baron leva son hanap, imité par les convives.
    — Béni soit Dieu, dit Arnaud Clergue.
    Ils burent tous, sauf Tancrède – sans doute pour contrarier son père et le chapelain –, tandis qu’aux tables voisines, on se mettait à rire et à hausser le ton.
    Cherchant une diversion, Sicart de Lordat essaya d’entretenir Ogier de sa longue chevauchée vers cette Normandie qu’il eût voulu connaître.
    — Le chemin vous semblera parfois interminable, et les périls peuvent y advenir, car la

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