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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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chapelain.
    Ogier regarda furtivement Tancrède. Il vit ses doigts longs, minces, à peine luisants de graisse, saisir délicatement le hanap où son vin était coupé d’eau. Elle but, puis donna un morceau d’agneau à Saladin, qui l’engoula et posa sa grosse patte sur le bord de la table. « Bon Dieu, elle l’apprivoise ! » Dans le vacarme des conversations, des cris et des rires, cette fille était l’image même de la sérénité. Soudain, elle tendit l’oreille.
    — Oyez, dit-elle. Les trompes cornent encore.
    — Qui peut venir ou bien passer au large ? interrogea Blanquefort tourné vers le baron.
    — Je préférerais que ce soit Lucifer, avoua Guillaume, plutôt qu’une armée d’Anglais.
    Comme les ondes d’une pierre tombant dans l’eau, le silence s’étendit autour de la table seigneuriale et atteignit les hommes d’armes et les gens du commun. À la suite de Saladin, les chiens jappèrent et coururent au-dehors.
    De nouveau les cors sonnèrent.
    Le damoiseau entendit hurler Jean du Taillis.
    —  Avancez ! D’où venez-vous ?
    Dans la grand-salle où l’attention figeait la plupart des convives – sauf Chastagnol qui, abandonnant son repas, s’en allait clopin-clopant – le baron se leva et se pencha pour se tailler une large part de pâté. Il la laissa choir dans son écuelle et, de nouveau assis, se pencha pour s’en délecter. Son indifférence était feinte : plus encore que son entourage, il était impatient de savoir quels passants demandaient asile, et pourquoi.
    Quelqu’un monta en courant les degrés du perron, bousculant les rares sergents et domestiques :
    — Place ! Place ! Holà, rangez-vous !
    Jean du Taillis apparut.
    Il avait son chaperon dans une main, son olifant dans l’autre – une grosse corne brune, garnie de viroles d’or. Il courba l’échine avant de s’approcher de la table seigneuriale, comme s’il voulait qu’on admirât son crâne rasé de frais. Ensuite, se redressant, il offrit au baron et à ses voisins son visage rond, jovial, criblé des trous de la variole. Sous ses sourcils bruns, épais comme des chenilles, ses yeux bleus pétillaient :
    — Trois forains [197] , messire, vous demandent asile. Ils disent venir des Allemagnes… Ils rentraient chez eux, en Castille, quand ils sont tombés sur les Anglais… Ils chevauchent, et deux mules tirent leur chariot.
    Guillaume cessa de mastiquer, puis demanda entre ses dents, pour ne rien perdre de sa nourriture :
    — Qui sont-ils ? Des marchands ? Des ménestrieux ?
    Jean du Taillis eut une lippe d’ignorance.
    — Tout ce que je peux dire, c’est que les bers et le cagnard [198] de leur chariot, à l’arrière, sont presque aussi pourvus en sagettes que saint Sébastien à la fin de son martyre.
    Cette comparaison, qui fit sursauter Arnaud de Clergue, suscita l’ironie de Didier. Aussitôt, Renaud et Haguenier s’ébaudirent.
    « Tiens, ils étaient présents ! songea Ogier. Je les avais oubliés. »
    Du regard Jean défia les écuyers. Il ajouta :
    — Je crois que vous pouvez les recevoir fïablement [199] .
    Le baron eut un geste de mauvaise humeur : il détestait les déductions intempestives. Il grogna, tourné vers le chapelain :
    — Ces hommes n’ont-ils pas fait un bien grand détour pour rentrer chez eux ?
    Arnaud Clergue souleva son hanap et, avant de boire, le considéra presque aussi respectueusement que s’il s’agissait d’un calice :
    — Je ne sais… À votre place, je serais allé voir leurs têtes.
    — Pensez-vous, mon Père, demanda Tancrède au cordelier, qu’un visage – surtout vu du haut de nos murs – soit suffisant pour décider si un homme est bon ou mauvais ?
    — Qu’on abaisse le pont, ordonna Guillaume.
    Jean se recoiffa et partit en courant, suivi de Renaud et de Didier, puis d’Haguenier, le plus irrésolu des trois. Ils devaient accueillir les étrangers, commander aux palefreniers de s’occuper de leurs chevaux et de leurs mules ; leur offrir un bain et, s’ils étaient sales, des vêtements. Contrairement au rustique dont l’empressement satisfaisait Guillaume, ils ne se hâtaient pas.
    Les entretiens reprirent, et le baron, après avoir mangé son pâté et s’être essuyé, d’un revers de main, bouche et moustache, se tourna vers Blanquefort :
    — Qui peuvent être ces hommes ?
    Les lèvres du sénéchal se pincèrent. La contagion de la curiosité ne l’avait pas atteint, du moins

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