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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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de la solitude est anormal, Bressolles… Jamais vous ne vous êtes intégré.
    — Et si, messire Clergue, je voyais et sentais mieux Dieu seul qu’en n’importe quelle compagnie, surtout la vôtre ?
    Ogier s’aperçut qu’en cinq ans, seul l’aspect extérieur du maçon avait compté pour lui. L’enveloppe.
    Mais que contenait-elle, hormis cette foi violente et singulière ? Cela, jusqu’à ce jour, lui avait semblé dépourvu d’importance. Ils se parlaient : le temps, la couleur du ciel, la courbure d’une voûte, l’obliquité d’une archère. C’était tout. Jamais il n’avait été tenté de pousser plus loin le dialogue et de savoir comment se calculaient la résistance d’un cintre ou d’une mensole [194] , le nombre des voussoirs, le volume et la force de l’arc-boutant. Ils vivaient dans deux mondes tellement différents ! Bressolles, l’immobilité des pierres, la composition des mortiers, l’aplomb d’une arête, la volute d’un escalier ; lui, Argouges, la fougue d’une chevauchée, la rapidité d’un assaut, la célérité d’une reculade… Ils avaient rompu le même pain, bu le même vin, et jamais il n’avait été tenté de questionner ce roturier sur son savoir. Il ne s’était même pas interrogé sur l’aisance du Carcassonnais à sculpter dans la pierre et le bois des êtres et des visages… Cinq ans. Cinq ans avec en sa proximité cet homme-là, et trop occupé de préparer son corps au maniement des armes, il s’était peu soucié d’engranger dans son esprit d’autres enseignements que ceux de Guillaume, de Blanquefort et de Vivien.
    — Messire chapelain, dit-il, cessez donc cette querelle.
    Confronté à la hardiesse inattendue de Bressoles, il découvrait avec stupeur que la bénignité du cordelier dissimulait une hargne, une rigidité, une dévotion intransigeantes. Ah ! ce besoin forcené de sortir vainqueur d’une controverse serrée, après des années sans le moindre accrochage… Il devait être au désespoir de ne tenir aucune preuve suffisante pour jeter l’anathème sur ce maçon impassible dont chaque réplique avait été comme une insulte à son ministère.
    — Eh bien, Clergue, dit Guillaume, jamais je ne vous ai vu en cet état… La chevalerie nous a menés loin !
    Ogier repoussa son écuelle :
    — Je ne peux parler de chevalerie, dit-il, puisque je n’y appartiens pas… Mais, je veux dire un mot sur Bressoles.
    Il plongea son regard dans celui du chapelain :
    — Patarin ou non, peu me chaut !
    Tandis que le maçon, confus, baissait la tête, Arnaud Clergue fit un signe de croix précipité et leva les yeux vers les voûtes.
    — Bressolles est doux, dévoué… Il ne détruit rien, mais construit… Et si certains, ici, ont l’esprit faussé, perverti, celui de Girbert me paraît aussi droit et solide que les parois qu’il a dressées autour de nous en accord avec messire Lordat… C’est pourquoi, mon Père, votre ire me paraît outrancière et non avenue, car nous vivons tous ici sous le signe de la Croix, mais son ombre, ou sa lumière, diffère pour chacun de nous !
    Cessant de regarder le clerc, Ogier se tourna vers le maçon :
    — Girbert, compagnon, je vous crois, en vérité, plus chrétien que moi… Et si c’est tout bonnement ça, être boulgre ou patarin, eh bien…
    — Tais-toi ! hurla le chapelain. Tais-toi, insensé !
    À cet instant, Mathilde réapparut, précédant Philippe. Ils apportaient deux agnelets rôtis. Sans laisser à Didier le temps d’officier, Tancrède arrêta un des plats devant elle pour, en un tournemain, arracher un gigot ; Arnaud Clergue en prit un autre ; le baron se saisit du troisième et Sicart de Lordat du dernier, tandis qu’Ogier se contentait d’un peu de flanchet.
    Bressolles ne mangeait, quand il y en avait, que du poisson. Se vengeant, comme l’affirmait Guillaume, sur les légumes, il se servit une pleine écuellée de lentilles.
    — Bientôt, je regretterai de ne plus vous avoir à ma table, Girbert, avoua plaisamment le baron. En vérité, sans vous, je m’ennuierai… Et mes-hui [195] je vous dois au moins une vérité contre laquelle nul d’entre nous ne s’élèvera : ces Valois sont des plus déplaisants… La famille ne vaut rien sauf Jeanne, la sœur de Philippe. En se consacrant à Dieu, elle sauve en quelque sorte l’espèce [196] . Elle a connu les félicités du corps avant que de jouir par son âme.
    — Oh ! s’étrangla le

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