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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’ailleurs la raison pour laquelle Simon de Montfort a exterminé les patarins [192] .
    Cette conclusion fit bondir Bressolles de son siège. De doucereuse, la voix du maçon devint tonnante :
    — Les patarins aimaient Dieu plus encore que les prélats qui les ont fait occire et cramer, mon Père ! Et Simon de Montfort, quand sa tête vola en l’air devant les murs de Toulouse, eut le temps de se demander – en tout cas je le lui souhaite – où était la céleste Justice… Une Justice au nom de laquelle il avait répandu des rivières de sang.
    — Il a servi la cause du roi de France, dit Guillaume.
    — Et comme c’était la cause du roi, elle ne pouvait être que juste, insista Clergue.
    Bressolles s’assit, comme abasourdi puis, sa colère étanchée :
    — La belle cause en vérité !… Les armées de ce démon, franc à demi, allant de bûcher en bûcher, de saignée en saignée. Elles traînaient derrière elles autant de presbytériens que de truands et de ribaudes…
    Ogier écoutait sans mot dire. Était-ce parce qu’il allait partir que Bressolles s’exprimait sans ambages ? Qui était-il vraiment ? En quel lieu Sicart de Lordat avait-il trouvé cet homme-là ?
    Une vision traversa son esprit : des bûchers par dizaines et au creux des flammes et des fumées convulsives, des hommes, des femmes et des enfants transformés en une pourriture ardente, et devenant brandons, étincelles, puis cendres. Des gibets, des arbres et leurs sinistres fruits humains. Pourquoi ? Ceux qui disparaissaient ainsi pensaient certes autrement que les autres, sans toutefois les menacer. Leurs idées différaient peu sur la façon de vivre le présent. Celles qu’ils entretenaient et propageaient sur l’Au-delà, étaient-elles si effrayantes ? Et les autres, les homicides : juges, fagoteurs, serviteurs de la Foi – du pape aux chapelains –, avaient-ils des pensées uniformes ? Étaient-ils des parangons de vertu ?… Et le Christ même, que Clergue servait moins rigoureusement d’habitude, quelles avaient été ses pensées sur le chemin du Golgotha ? Peut-être celles d’un homme ordinaire.
    « Et si la mort, plutôt que de déboucher sur la vie céleste, n’était que putréfaction ? »
    Ogier se tourna vers le sénéchal. Il était juste, tolérant. Que pensait-il de l’audace de Bressolles et de l’ire du cordelier ?
    Sous ses paupières clignotantes, le regard de Blanquefort était teinté d’ironie, tandis que le reste de son visage conservait sa gravité coutumière. Il écoutait, mais il songeait intensément à autre chose : les Anglais. Et parce qu’ils venaient d’échanger un coup d’œil plus fort qu’un regard d’amitié, Ogier se dit qu’il était aussi le fils de cet homme-là. En cinq ans, patiemment toujours, hargneusement parfois, Blanquefort lui avait inculqué tout ce qu’il avait appris en une vie de chevauchées et de batailles.
    Il tressaillit car la controverse entre Bressolles et Clergue s’envenimait :
    — Boulgre ! Patarin !… Publicain [193]  !
    La voix du clerc n’avait plus rien d’humain : elle tenait de l’aboiement et de la toux de coquelucheux :
    — Taisez-vous ! Taisez-vous, Bressolles !… Savez-vous qu’ailleurs qu’ici, vous mériteriez les fagots, comme Authier et Bélibaste ?
    La menace parut glisser sur le maçon :
    — Messire Clergue !… Dieu nous a donné la parole, et j’ai tout autant que vous le droit de la mettre au service de mon esprit… Sur les hauteurs où je me tiens à longueur de jour, j’ai d’ailleurs plus grande vue du ciel que vous qui, hormis les moments… bénis des repas, vous confinez dans votre maisonnelle ou dans cette chapelle dont j’ai dressé les formes avant toute autre chose, et surveillé la construction avec un zèle et une foi tout aussi estimables que les vôtres !
    Ogier regarda tour à tour Arnaud Clergue, rouge, frémissant, et Bressolles, pâle, immobile. Patarin ? Lorsqu’il lui en avait parlé – rarement –, le chapelain lui avait décrit ces gens-là comme des monstres à visage humain, anormalement mornes ou voluptueux. Or, le maçon n’était que bonté, simplicité, chasteté. « Je n’ai plus faim. » Bressolles, hérétique ? C’était plus qu’une révélation : un ravage. Non, il ne l’était pas ! Du moins voulait-il ardemment qu’il en fut ainsi. « Et les voilà qui continuent ! » Il écouta, comme tous les convives.
    — Votre amour

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