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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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parfois basculait en portant ses mains à sa poitrine ou à sa tête. Et quelque chose d’intangible et pourtant d’aussi lourd que du plomb pesait sur le pont du Christophe : la peur. Telle une araignée gigantesque accrochée aux vergues, aux cargues, à la résille des haubans, elle guettait ; immobile, invisible, elle surplombait sans aucune distinction de rang, de race et d’âge tous ces hommes contraints à se défendre après qu’ils avaient tous rêvé d’attaquer. Ils semblaient habités par une énergie, une résolution semblables, et ceux qu’une flèche, un carreau atteignait peu grièvement demeuraient en place, une fois le trait arraché à leur chair, bien décidés à combattre à outrance.
    — Nous n’avons même pas un presbytérien [62]  ! commenta Godefroy d’Argouges en désignant un écuyer ployé en deux sur le bordage du château d’avant, et dont le sang lui sortait par le dos.
    — Allons, Ogier, insista Blanquefort auquel le regard écœuré du garçon n’avait pas échappé. Voilà notre premier martyr : Guyot de Janville, dix-huit ans… Il y en aura d’autres avant peu… Ne regrette rien… Musse-toi dans ce tonneau. C’est, par ma foi, une autre façon d’avoir des douves autour de soi… Il y a même un couvercle. Entrebâille-le et observe… Et si ça va mal, n’attends pas qu’ils te prennent : saute à la mer et prie d’abondance pour ton salut !
    La rancune du garçon envers le sénéchal s’apaisa. Il lui sourit puis, résigné :
    — Bien que cela me déplaise, je suis prêt.
    Muet, Godefroy d’Argouges l’aida à s’introduire dans la cuve. D’une main, il en ramassa le couvercle par l’ansette, et de l’autre il saisit son bouclier que Blanquefort lui tendait avec une déférence dont il était peu coutumier envers Guillaume. Ensuite, le chevalier normand interpella le timonier :
    — Eh ! l’homme… Viens donc t’abriter.
    Le marin était jeune, moustachu, le torse pris dans un surcot gris. Railleur, il désigna le tonneau :
    — Souhaitez-vous, messire, que j’assiste ce jeunet en cas de déconfiture ou que je m’enfourne là-dedans avec lui ?
    — Je ne te demande rien, il me semble. Et mon gars est d’humeur à défendre sa vie.
    — N’empêche que moi, messire, à votre place, j’aurais…
    Il ne put poursuivre : une flèche s’était fichée dans sa gorge. Il s’affaissa en gargouillant, rampa, porta ses mains sur le trait mortel, parvint à s’agenouiller, puis roula sur le flanc et ne bougea plus.
    Argouges enfonça la tête de son fils dans le tonneau :
    — As-tu vu ? Tu pourrais périr comme lui, toi qui n’as pas une once de fer sur la peau… Quand je t’ai demandé de venir avec moi, j’étais sûr que la bataille tournerait à notre avantage. Maintenant, son issue me paraît… différente… Quoi qu’il advienne, fils, ne m’en veuille pas ! J’ai cru bien faire et me suis fourvoyé.
    Il posa le couvercle sur la tête d’Ogier, qui le maintint entrebâillé. Puis il dégaina Almire et affermit le grand écu aux lions d’or devant son torse enveloppé de mailles, elles-mêmes couvertes d’une cotte bleue où les lions encore, leurs griffes déployées, semblaient rugir en se tirant la langue.
    — À Dieu, mon fils. Si je meurs sois un preux hardi et redoutable.
    Il se précipita vers l’avant du navire.
    — Ohé ! Attendons-nous, parent ! s’écria Guillaume en courant derrière son beau-frère, Blanquefort sur les talons. Demeurons ensemble afin de nous prêter la main… Regardez ! Ils commencent à lancer leurs graves [63]  !
     
    *
     
    Dans la pénombre où il se trouvait soudain plongé, Ogier cessa de refréner sa colère.
    « Il n’aurait pas mieux traité un chien. »
    L’attitude intransigeante de son père avait été dictée par le bon sens plus encore que par l’affection ; mais que l’esprit eût devancé le cœur dans cette affaire ne changeait rien à son résultat : recrobillé dans une cuve infecte, il se sentait glacé de honte.
    « Seigneur ! Je le maudirais presque. S’il estime que je suis encore un enfant, que signifient les paroles qu’il m’a dites à Gratot ? “À présent que tu en as l’âge, te sens-tu le cœur de me compagner ?” Je l’ai suivi avec joie. Il en a paru satisfait. En chemin, il m’a même dit : “Tu seras comme un écuyer attaché à mon service.” Alors quoi ? Que me veut-il vraiment ? Est-ce en agissant comme un

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